Lorsqu’à l’automne de l’année 2013 nous avons appris que l’Assemblée Nationale s’était saisie d’un projet de réforme de la loi sur la révision des condamnations pénales – et sans doute les réclamations de M. Deperrois et de M. Massé auprès de la Cour européenne des droits de l’homme n’y sont pas étrangères – , en tant que membres du Comité de soutien à M. Daniel Massé nous avons pensé qu’il était indispensable que nous rédigions un mémoire à l’attention des rapporteurs de la Mission d’information chargée de déposer des propositions en ce sens.

Et c’est ce que nous avons fait à plusieurs, pour démontrer que la détermination du Comité était intacte et que celle-ci s’accompagnait de réflexions, d’une pensée en perspective et en action afin d’atteindre l’idéal de toute institution judiciaire, qui répare autant qu’elle le peut et s’efforce de ne pas détruire.

De cet idéal, nous en sommes encore tant éloigné…

Ce rapport n’a pas été publié par la Mission. Au vu de ce qu’il contient, le lecteur en comprendra aisément les raisons.

Au bout du compte, après la réforme, les défauts de constitutionnalité de la loi précédente n’ont été corrigés qu’en infime partie – l’absence de tout recours, contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et contraire à la Constitution française notamment demeure – et dans les faits, la réécriture de la loi maquille autrement l’embargo organisé pour empêcher toute révision. Elle semble un bel écho au message délivré par les parlementaires au monde judiciaire : vous pouvez commettre des erreurs et couper court par obstruction à toute révision, mais nous vous prions de bien vouloir faire en sorte que cela ne se sache pas, que cela ne se remarque pas…

Voici le rapport oublié :

Paris, le 9 novembre 2013

Pour le Comité de Soutien à M. Daniel MASSÉ

(site : http://www.presume-coupable.com – courrier électronique danielmasse@presume-coupable.com)

 

M. Georges FENECH

Député du Rhône

M. Alain TOURRET,

Député du Calvados – Secrétaire de la Commission des Lois

Rapporteurs de la Mission d’information concernant

la procédure de révision des condamnations pénales

Assemblée Nationale

 

Contribution du Comité de soutien à M. Daniel MASSÉ

 

« Le Parti vous disait de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’était son commandement ultime, et le plus essentiel. Le cœur de Winston défaillit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux arguments qu’il serait incapable de comprendre et auxquels il pourrait encore moins répondre. Et cependant, c’était lui qui avait raison ! Ils avaient tort, et il avait raison. Il fallait défendre l’évident, le bêta et le vrai. Les truismes sont vrais, raccorde-toi à cela. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau est humide, et les objets qu’on lâche tombent vers le centre de la terre. […] Avec le sentiment qu’il posait un axiome important, il écrivit : « La liberté, c’est de dire que deux et deux font quatre. Quand cela est accordé, le reste suit. »

George ORWELL

« Mais il vient toujours une heure dans l’histoire où celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort. L’instituteur le sait bien. Et la question n’est pas de savoir quelle est la récompense ou la punition qui attend ce raisonnement. La question est de savoir si deux et deux, oui ou non, font quatre. »

Albert CAMUS

(cités par M. Yannick MASSÉ)

 

Messieurs les Députés,

 

Nous avons pris connaissance de ce que M. le Président de la Commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas vous avait confié la mission de réaliser une analyse approfondie de la procédure de révision définie par les articles 622 et suivants du code de procédure pénale afin d’étudier l’opportunité d’une réforme législative.

Dans ce cadre, nous souhaiterions vous faire part d’une expérience de ce que nous estimons constituer une erreur judiciaire majeure, de ses conséquences et témoigner de ce que nous avons pu comprendre du fondement de la procédure de révision et des pratiques actuelles de la Commission de révision des condamnations pénales lorsqu’elle est saisie d’une requête.

 

M. Daniel Massé détient le triste privilège d’être la première personne en France à avoir été rejugée en Cour d’assises d’appel après un acquittement

suite à la promulgation de la loi de mars 2002 et condamné à une peine de réclusion criminelle de 25 années, à quoi s’ajoute le fait d’avoir à payer 787 341,81 € de dommages et intérêts pour un crime dont nous avons aujourd’hui toutes les raisons d’avoir la conviction qu’il ne l’a pas commis.

À ce propos, nous avons bien noté, M. Tourret, que vous vous étiez opposé fermement à cette modification du code de procédure pénale. Il manquait peut-être à celle-ci une précaution pourtant sage et essentielle : l’introduction concomitante de la motivation des arrêts criminels.

Cette réforme a eu sur la vie de M. Massé et celle de sa famille, de sa fille notamment, une conséquence de très grande ampleur.

Nous allons tout d’abord tenter de dresser un panorama de la procédure qui a été engagée à l’encontre de M. Daniel Massé pendant neuf années et vous donner les raisons pour lesquelles celui-ci n’était pas en mesure d’obtenir qu’il soit mis fin aux dérives de l’instruction, puis nous tenterons d’expliquer ce qui est cause des différents dysfonctionnements qui ont émaillé cette procédure et cette condamnation.

En suivant nous décrirons le travail que le Comité de soutien, constitué par le fils de M. Massé, M. Yannick Massé, aux fins de lui venir en aide a effectué pour décrypter le dossier et l’appréhender sous tous ses angles, comme aucun magistrat ni aucun conseil ne l’avait fait auparavant, puis le traitement et le sort des recours que M. Massé a formés en pure perte afin d’obtenir la révision de sa condamnation.

Enfin, nous nous permettrons de vous soumettre les propositions de réformes de la loi sur la révision des condamnations pénales de 1989 qui nous semblent indispensables de mettre en œuvre en conséquence de l’analyse de cette affaire notamment et les enseignements qu’il conviendrait d’en tirer pour l’avenir.

 

 

M. Daniel Massé réside en Haute-Garonne depuis son enfance.

Lorsque l’affaire commence en décembre 1994, il est marié, il a trois enfants et il est propriétaire d’une maison à Castanet-Tolosan. Sa vie est banale et parfaitement heureuse au milieu des siens.

En 1991, il est resté en contact avec un ancien collègue de travail, Joseph Hernandez, qu’il avait rencontré lorsqu’il était technicien salarié de l’entreprise Médicornéa dont l’activité est la fabrication de lentilles ophtalmologiques souples.

Il avait un moment songé à constituer et développer sa propre entreprise de fabrication de lentilles de contact, avant d’y surseoir, estimant que l’état du marché ne lui laissait pas espérer avec suffisamment de certitude la réussite d’un tel projet.

M. Hernandez pour sa part a franchi le pas, ayant fondé une société qu’il a dénommé Médilens et M. Massé lui propose dans un premier temps de mettre à sa disposition pour un prix modique quelques-unes des machines qu’il a acquises ou qu’il a fabriquées.

Et puis, après que M. Hernandez lui ait fait part de ses besoins, il lui propose de l’aider de façon plus efficace et de lui prêter l’ensemble du matériel de production qu’il possède sous contrat de commodat avec trois options de résolution lorsque l’activité et la trésorerie de l’entreprise le permettront : soit de lui céder des parts du capital en proportion de cet apport, soit d’acheter les machines selon le prix fixé de façon détaillée par le contrat ou bien de les lui rendre à l’état d’usage. La proposition convient aux époux Hernandez et le contrat est contresigné en 1991.

M. Massé, même s’il fournit en plus une aide matérielle bénévole pour installer le local de production, demeure perplexe quant à la démarche que son ancien collègue entend conduire et constatant qu’il ne suit pas ses recommandations d’élargir sa clientèle pour assurer l’avenir et ne pas dépendre d’un seul donneur d’ordre, décide de s’éloigner et de se consacrer à un autre projet qui lui tient à cœur : développer le tourisme fluvial sur le canal du Midi par le biais de péniches de promenade.

 

 

Le différend commercial porte sur 31 421 francs

Il surgit un différend en 1993, car s’ils s’étaient entendu oralement sur le fait que M. Hernandez céderait à terme 20 % du capital de la société, M. Massé s’aperçoit qu’il a changé d’avis, sans doute sous l’influence de sa femme : il insiste pour l’engager – momentanément sans lui verser le moindre salaire sous prétexte qu’il bénéficie d’indemnités de reconversion –, et en fait une condition pour lui céder en contrepartie 4 % des parts de la société chaque année pendant trois ans. Constatant le désaccord – Daniel Massé ne souhaite pas venir travailler dans cette entreprise puisqu’il a choisi de développer à ce moment d’autres projets – il lui propose de procéder à l’achat des machines pour résoudre le commodat.

M. Hernandez ne lui règle qu’une partie de la somme – il manque 31 421 francs –, s’appuyant sur un projet de transaction antérieur qui ne s’est pas réalisé et dont M. Massé n’a pas gardé le souvenir, et feint d’ignorer les stipulations du contrat et le prix de vente qu’il indique.

M. Massé se méprend sur le fait qu’il s’agit d’une falsification et porte plainte en février 1994. Les parties au litige sont convoquées par la gendarmerie en novembre 1994 et Daniel Massé découvre l’original de ce qu’il croyait de bonne foi constituer un faux. En conséquence il retire aussitôt sa plainte et les gendarmes lui suggèrent, pour obtenir l’exécution du contrat et résoudre le litige concernant le prix de vente, de s’adresser à une juridiction civile. À quoi il répond qu’il va y réfléchir.

Cependant Mme Hernandez, qui est gérante de l’entreprise créée par son mari fait montre d’une humeur quelque peu vindicative et lui annonce qu’elle porte plainte à son tour pour dénonciation calomnieuse.

 

L’attentat

Le 16 décembre 1994, les Hernandez découvrent en tout début de matinée un colis – sans adresse d’expéditeur – posé en évidence à l’entrée de leur entreprise à Portet-sur-Garonne et finissent par l’ouvrir : il s’agit en réalité d’un engin incendiaire – un cocktail Molotov de cinq bouteilles de vin remplies d’essence enfermées dans une caisse – qui les brûle grièvement.

Mme Hernandez porte aussitôt accusation contre Daniel Massé ; elle aurait clamé à l’instant même de l’explosion : « putain de Massé ! » et elle explique que, selon elle, c’est le différend commercial qui est la cause de cet attentat, que M. Massé a voulu se venger de ne pas avoir pu acquérir des parts de la société Médilens et de ne pas avoir obtenu le règlement complet du prix de vente.

 

L’enquête de gendarmerie

Deux ou trois heures après le drame, suite aux accusations portées contre lui, Daniel Massé est placé en garde-à-vue et son domicile est fouillé de fond en comble par les gendarmes. On ne trouve rien qui pourrait se rapporter aux matériaux utilisés pour confectionner la caisse et le circuit d’amorçage du colis piégé. Les enquêteurs saisissent cependant une bouteille de vin de 75 cl avec un bouchon de plastique et un interrupteur industriel incomplet que l’on appelle minirupteur. Le circuit qui enclenchait l’éclatement des bouteilles et l’incendie comportait curieusement ce type d’interrupteur au lieu de boutons poussoirs.

Les enquêteurs estimant la faiblesse des charges, il n’est même pas déféré devant le procureur. Il s’avère que le mobile avancé par la victime peine à les convaincre : déposer un colis incendiaire pour espérer récupérer 31 421 francs tandis qu’une juridiction civile peut y pourvoir par le biais d’une simple assignation ne leur semble pas plausible.

Ils conseillent aux autorités judiciaires de chercher un autre mobile après qu’il ait été procédé à l’expertise des éléments qu’ils viennent de saisir à son domicile.

 

 à suivre…

 
 

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Chapitre 51

 

 

 

 

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