En 1978, paraît le livre de Gilles Perrault, le Pull-over rouge et son retentissement est à la mesure de ce qu’il révèle. Tout à coup, n’importe quel citoyen peut pénétrer au cœur du mécanisme des procédures criminelles et apercevoir ce que recèle d’ordre sordide le système inquisitoire.

 

Christian Ranucci a été placé en garde-à-vue à 18 heures, il a passé des aveux à14 heures le lendemain. Il a été présenté à Madame Ilda Di Marino, juge d’instruction à 18 heures et a réitéré devant elle ses aveux, ayant accepté de ne pas être assisté d’un avocat. Il a été inculpé à 19 heures. Il est ré-entendu le lendemain dans la matinée – en violation du code de procédure pénale puisqu’il ne lui est pas demandé s’il souhaite la présence d’un avocat – par cette même juge d’instruction qui est particulièrement pressée, et n’a pu avoir un entretien avec un avocat qu’une fois toute cette machinerie enclenchée.

Une reconstitution a lieu 15 jours après et Christian Ranucci sera convoquée par la juge d’instruction encore trois fois en tout et pour tout, et pour la dernière, celle qui scelle son destin, ce sera sans la présence d’un avocat. Il verra une fois le remplaçant de Mme Di Marino, le juge Michel qui souhaitait tout reprendre mais en a été empêché par le parquet de Marseille. La lettre qui suivra demeurera ainsi sans réponse.

En réalité tout est fondé sur les aveux obtenus lors de la garde-à-vue. Le reste de l’instruction n’a consisté – en violation du code de procédure pénale – qu’à étayer l’édifice qui en résulte et s’il venait à surgir des contradictions, faire en sorte qu’elles ne puissent apparaître. Le procès d’assises a consisté à s’agripper aux aveux pour balayer tout ce qui pouvait faire question et, dans un climat de lynchage, donner à la foule le sang dont elle désirait se repaître…

Or le livre met brutalement à jour que les aveux sont fort loin d’éliminer les contradictions et les mystères que le dossier contient. Il apparaît que la condamnation à mort n’a pas été obtenue dans des conditions dignes d’une démocratie. Et la question soudain claque : Christian Ranucci a été exécuté le 28 juillet 1976 à 4 heures 12 du matin. Était-il coupable ou innocent ? Le moindre doute aurait dû arrêter le geste des jurés, il n’en a rien été. Le moindre doute aurait dû arrêter la main de la Cour de cassation, elle a refusé de casser le jugement en violation de la loi d’ailleurs – peu importe.

Le moindre doute aurait dû arrêter la main du Conseil Supérieur de la Magistrature, il n’en a rien été. Le moindre doute aurait dû arrêter la main du bourreau par la grâce du Président de la République, mais celui-ci s’est appuyé sur les fautes et les erreurs des précédents pour déclencher le couteau de la guillotine.

Ah certes, ce livre a permis que soit refermé une fois pour toute l’usage de la peine de mort en France et plus personne n’a été exécuté après sa parution. L’on faisait remarquer le tableau de chasse du président de la République : Ranuci, Carrein, Djandoubi… : un fou, un unijambiste et un homme qui était peut-être innocent…

Mais la stupeur que cette révélation a provoquée sur la faiblesse de l’institution judiciaire n’a pas été suffisante pour qu’un terme soit mis à tout le reste : ces petites entorses successives que l’on fait au droit, à la vérité, à la précision, tout cela perdure aujourd’hui encore et les erreurs judiciaires existent toujours… Et toujours se maintient cette volonté obtuse de les nier, de les recouvrir, de faire sien le refus de toute logique ou de tout raisonnement.

 

Cependant, l’idée était là, que ce livre était venu impulser, il n’y avait d’autre cause que celle de mettre à jour la vérité. La vengeance ou la punition n’ont pas de place, seule compte le dévoilement de cet enchaînement, connaître comment cette catastrophe a pu se produire. Et voici comment quelques personnes se sont entraidées pour découvrir le fin fond de la vérité…

 

 

 

 

 

« Cette haine, ces colères, cette phrase terrible du Président [Antona] adressée à mon fils – « Les parents de la jeune victime pleurent leur fille morte, votre mère ne pleure que son fils vivant » – , ces mots dits pour briser nos cœurs. Mon fils de vingt ans, qui vivait l’enfer, ne pouvait avoir un comportement calme devant tant de fureur. »

Héloïse Mathon (Christian Ranucci 20 ans après)

 

 

 

Chapitre 8

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9 réflexions sur “7 Et pense à moi souvent, toi qui va demeurer dans la beauté des choses…

  1. Erreur numéro 6 :
    « Christian Ranucci a été placé en garde-à-vue à 18 heures, il a passé des aveux à14 heures le lendemain. »
    Christian Ranucci est arrivé à l’Évêché à minuit dans la nuit du 5 au 6 où il a commencé à être interrogé par les policiers, la commission rogatoire délivrée par le Juge valait pour son accident. C’est donc au terme d’une dizaine d’heures de garde-à-vue et non 19, temps de repos exclu qu’il a craqué devant Mme Aubert, et non de méchants tortionnaires, et non à 14h mais à 13h… C’est ennuyeux pour le coup non ?

    1. Christian Ranucci est placé en garde-à-vue à 18h au poste de gendarmerie de Nice et vous ne mentionnez pas la fouille du véhicule à 22 heures. Il est arrêté non pas pour l’accident et le délit de fuite, mais pour le crime. Donc il s’agit bien de 19 heures de garde-à-vue sans dormir et lors des garde-à-vue, le repos est très aléatoire. Pendant toute la nuit il dit avoir été harcelé, frappé, torturé par les enquêteurs. Et, en tous cas, à l’époque l’on n’était pas assisté d’un avocat. Donc il n’y a pas d’erreur d’autant que l’on invoque aujourd’hui la fin de la garde-à-vue à 18 heures pour tenter de justifier le fait qu’on n’a pas emmené Christian Ranucci sur les lieux pour la découverte excentrique du couteau. Et je ne vois pas ce qu’il y a d’ennuyeux non plus.

  2. Erreur numéro 7:
    « Il est ré-entendu le lendemain dans la matinée – en violation du code de procédure pénale puisqu’il ne lui est pas demandé s’il souhaite la présence d’un avocat – par cette même juge d’instruction qui est décidément très pressée »
    Vos propos sont constitutifs de diffamation, le PV D11 du 7 juin stipule noir sur blanc que Ranucci n’a pas désigné d’avocat.
    Maitre Le Forsonney s’est présenté après cette audience à la Juge…
    C’est peut-être Ranucci qui n’était pas pressé…

    1. La question n’est pas de savoir s’il est noté que Christian Ranucci a ou n’a pas d’avocat, la question est de savoir si Mme le juge d’instruction, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, lui a demandé ou non s’il acceptait d’être interrogé sans avocat. Elle ne pose pas la question et ne fait rien écrire à ce propos dans le procès-verbal. Ceci est contraire aux dispositions légales, elle ne pouvait pas l’entendre hors la présence d’un avocat sans poser explicitement la question de son consentement à ce sujet. Donc l’erreur n°7 n’existe pas non plus.

      Christian Ranucci n’avait jamais eu affaire à l’institution judiciaire, il n’en connaît aucun des rouages, aucune des subtilités, vouloir suggérer qu’il aurait une stratégie est à côté de la plaque. C’est bien cela le problème d’ailleurs.

  3. Erreur numéro 8
    « Une reconstitution a lieu 15 jours après et Christian Ranucci sera convoquée par la juge d’instruction encore trois fois en tout et pour tout, et pour la dernière, celle qui scelle son destin, ce sera sans la présence d’un avocat.  »

    Christian Ranucci verra le Juge d’instruction deux fois et si ses avocats n’étaient pas là le 27 décembre pour la rétractation de Christian Ranucci c’est qu’ils n’ont pas daigné répondre à la convocation qui leur a été faite… Ce qui change beaucoup de choses.
    Rétractation au cours de laquelle Christian Ranucci confirme sa présence sur les lieux de l’enlèvement, avoir dessiné le plan et indiqué là où était le couteau (qu’il avait désigné in situ le 24 juin 1974 sans la moindre objection de ses avocats)
    Tout cela est très ennuyeux pour vos exposés d’une justice viciée.
    Le seul vice que je lis c’est celui de vos propos qui dénaturent l’affaire sur des choses essentielles et qui sont rédhibitoires pour Ranucci.
    Parlez nous donc de ce fameux récapitulatif comparé à la rétractation puisque les aveux ne veulent rien dire…

    1. La encore par imprécision vous tentez d’embrouiller les esprits.
      Lorsqu’un inculpé risque la peine capitale, et qu’on s’aperçoit que les avocats ne sont pas présents, on accepte de reporter l’interrogatoire de dernière comparution.
      Si le juge d’instruction ne le fait pas c’est qu’elle a pour mission de faire passer les trucages de l’enquête. Avec la présence d’un avocat, c’est plus difficile.

      Les avocats ne sont pas là parce qu’il est un principe en France : on ne remet pas en cause les enquêtes de police, même si elles sont entachées d’irrégularités et donc le bâtonnier a demandé à Maître Le Forsonney de ne pas être présent. Donc la juge est maline elle fait signer à un jeune homme de vingt ans un ramassis qu’il ne peut pas comprendre : le plan, il ne sait pas qu’il s’agit d’un décalque d’une photographie du cadastre et qu’il n’a pas pu le dessiner – il ne se souvient pas de grand chose à vrai dire.
      Un avocat présent lui aurait demandé de montrer le plan. Et quand bien même la supercherie ne serait pas apparue, il aurait pu noter que le plan ne correspondait pas à grand chose : comment peut-il dessiner le bâtiment dans son entier alors que le criminel – si jamais il s’agissait de Ranucci – n’en a jamais fait le tour pour n’y être jamais venu auparavant ?
      Pour le couteau non plus Christian Ranucci ne peut pas comprendre puisqu’il ne sait pas qu’il a été retrouvé avant sa mise en garde-à-vue et qu’on a été le replanter le lendemain. Donc elle lui fait constater simplement ce qui se trouve dans le dossier.
      Dans le procès verbal de reconstitution, il n’y a rien de précis sur le lieu de découverte du couteau, et pour cause, il y a un hiatus flagrant entre le lieu décrit précisément par les gendarmes et le procès verbal de découverte : l’endroit n’est pas le même, un coup près du chemin, un coup sur le bord des taillis de l’autre côté du terre-plein.

      Ce n’est pas l’institution qui est viciée, c’est un certain nombre de comportements qui ne respectent pas un minimum de déontologie. Ce serait un vol de vélo, on ne dirait peut-être rien, mais là l’accusé risque sa tête. Donc bâcler une instruction à ce point, oui c’est particulièrement choquant. Je ne vais pas développer sur le récapitulatif, il me suffit de constater que les aveux ne correspondent pas aux autres témoignages. Rien ne colle : les horaires, la méthode, le moindre détail etc…

  4. Erreur numéro 9 : « Or le livre met brutalement à jour que les aveux sont fort loin d’éliminer les contradictions et les mystères que le dossier contient. Il apparaît que la condamnation à mort n’a pas été obtenue dans des conditions dignes d’une démocratie. »

    Il n’y a pas une once de contradiction dans tous les aveux de Christian Ranucci incluant ses déclarations lors de la reconstitution.
    Christian Ranucci a été même plus loin, il a confirmé en confrontation le récit de M. et Mme Aubert en y posant même une nuance : il ne se souvient pas de leur avoir parlé. Pour le reste il était d’accord et lui comme ses deux avocats Chiappe et Jean-François Le Forsonney ont signé.

    Relisez donc les articles de l’époque : il n’y en a pas un qui relate les conditions d’un procès trouble ou truqué, y compris parmi les journalistes favorables à ce qu’écrit Gilles Perrault.
    Les seules objections portaient sur la peine capitale dans le cadre du débat sur l’abolition
    Dire que ce procès a été truqué est un parfait scandale détournant de la vérité : les parties se sont exprimées et ont dit tout ce qu’elles avaient à dire. On a même laissé Christian Ranucci se ridiculiser tout seul avec une attitude grotesque et indécente.
    Profil type du récidiviste.

    1. Le site expose je crois précisément les contradictions entre les aveux et les témoignages : une contradictoin de base, Christian Ranucci aurait enlevé la petite fille par hasard pour se promener. Ce n’est pas du tout, mais alors pas du tout ce que déclare Jean Rambla : ce type avait préparé son coup, il use d’un stratagème pour enlever une gamine et avec la volonté de l’agresser sexuellement. Donc il y a une distorsion totale entre les aveux et le contexte de l’enlèvement. À quoi s’ajoute le fait de ne pas se souvenir s’il s’agit d’un chien ou d’un chat : s’il ne sait pas ce qu’il recherche, les gamins ne vont pas suivre. Donc il n’y a pas d’erreur n°9.

      Ce n’est pas le procès qui est truqué – le procès est partial avec un président qui se situe clairement du côté de l’accusation, ce n’est pas douteux -, c’est l’enquête qui recèle des trucages. Ce que l’on constate lors du procès, c’est une volonté de masquer les failles de l’enquête. Et l’on y parvient parce que tout le monde, auxiliaires de justice qu’ils soient de la défense ou des parties civiles, parquet, magistrats, sait que les preuves sont truquées. Donc c’est très ennuyeux et l’on fait comme si en se disant que le président graciera. Et en même temps on n’a pas envie, parce que s’il n’est pas assassiné, il va embêter l’institution et demander des révisions.

  5. En ce qui concerne le juge michel c’est une question que j vous pause,dans le chapitre 11 qui a tué christian…j aime beaucoup cette liste que vous faites,mais j repprocherai d’une l’oubli des aubert,qui pour moi ont le role capital,ils ne sont pas mentionnés,et le juge michel donc,je lis qu’à la reprise du dossier apres di marino,il voulait tout reprendre à zéro,ce que j trouve évidement tres bien de sa part,mème s’il na’pas abouti hélas,quelle catasrrophe,mais j me demandais du coup pourquoi le mettre aussi dans la liste de ceux qui ont assassiné christian…?j remets nullement en doute ce que vous dites attention,mais je me dis qu il doit y avoir une réponse..

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