À contempler la photographie qui rend compte du rituel de la reconnaissance, lorsque Christian fut aligné et mélangé aux enquêteurs, il avait été décidé pour cette épreuve qu’il ne porterait pas de lunettes et c’est ainsi qu’il figure au milieu des inspecteurs pour qu’il en soit témoigné.

Or la myopie de Christian Ranucci nécessite une correction de 3 dioptries. Au-delà d’un tiers de mètre, il n’y voit plus, tout lui apparaît flou et nul ne l’a jamais aperçu sans ses lunettes : il ne saurait s’en passer dans toutes les circonstances et les usages de la vie.

Cependant, il apparaît bien que le ravisseur ne portait pas de lunettes et c’est pour cette raison sans doute que l’on a pris cette décision de présenter celui que l’on considérait comme suspect dans une apparence que nul ne lui connaissait, hormis ses plus proches  intimes…

Voilà donc l’accusation confrontée à cette multitude de détails incompatibles, de toutes ces circonstances qui ne conviennent plus l’une avec l’autre.

Il en est ainsi de l’enlèvement de l’enfant à la Cité Sainte-Agnès car ils sont deux témoins qui désignent une Simca 1100.

Le premier est Jean Rambla à qui l’on présente dans la Cour de l’Évêché le 6 juin : « de nombreux types de véhicules automobiles« , et qui retient un véhicule « de marque Simca type Chrysler« , et c’est aux journalistes qu’il désigne pour modèle une voiture de police qui se trouve être précisément une Simca 1100…

Ainsi relate le journal l’Aurore du 6 juin 1974 :

« Il était jeune et élégant, dira Jean, et nous a demandé de l’aider à retrouver son petit chien noir. Il m’a dit d’aller d’un côté et il a fait monter ma sœur dans sa Simca 1100 gris métallisé.« 

le Méridional du 4 juin :

« Le petit Jean nous a dit : « On était en bas, sur le trottoir de la rue Albe. Un monsieur est descendu de voiture, c’était une grise, je crois une Simca.« , du 5 juin : « L’unique témoignage est celui de Jean, le petit frère. Ils l’ont interrogé, en présence du père, dans l’après-midi. Ils en sont arrivés à la conclusion que le gamin savait ce qu’il disait et qu’il n’affabulait point. Il sait reconnaître les marques de voiture. Les policiers lui en ont montrée plusieurs. « Oui, c’est une Simca grise.« 

Le Provençal du 4 juin :

« Je peux vous donner tous les détails que m’a rapportés mon petit Jean. Mon garçonnet, malgré ses 6 ans, est très éveillé et sait fort bien ce qu’il dit.

« Jean a donc vu arriver depuis la rocade du Jarret une voiture de couleur grise. Comme il connaît bien les autos et qu’il s’y intéresse, il m’a affirmé que c’était une « Simca ». (…)

Jean Rambla : « Le Monsieur était jeune. Il était bien habillé. Quand il est descendu de sa voiture, j’ai vu qu’il était grand. Sa voiture était une Simca. La couleur était grise.« 

Extrait du documentaire de Marie-Sophie Tellier-Viguier et Bernard Faroux, présenté par Christophe Hondelatte : « Faites entrer l’accusé, l’énigme du pullover rouge« 

 

 

Extrait du programme, présenté par Charles Villeneuve : « Le droit de savoir« 

 

 

L’on pourrait douter qu’un enfant de six ans puisse reconnaître sans se tromper le modèle de telle ou telle voiture, cependant son témoignage concorde absolument avec celui du garagiste Eugène Spinelli. Celui-ci est venu témoigner spontanément le 5 juin 1974 et déclarer aux policiers qu’il sortait de son atelier à dix heures 50 pour se rendre chez sa mère – en fait il semblerait qu’il se rendait au café avant l’échéance du PMU, lorsqu’il a vu cet homme inviter une petite fille à monter dans son véhicule, puis en faire le tour et démarrer.

Le rapport établi par les enquêteurs indique ceci :

« Peu de temps après, un témoin était découvert en la personne de M. SPINELLI Eugène. Ce dernier déclarait que le 3 juin 1974, à 10 heures 50, alors qu’il se trouvait devant son garage, sis 4 impasse Albe, il avait aperçu un individu et une fillette qui prenaient place à bord d’un véhicule de couleur grise. Monsieur SPINELLI indiquait qu’il se trouvait à une distance 50 mètres, environ, du véhicule. Il donnait un signalement approximatif de l’individu et précisait que le véhicule de couleur grise pouvait être une SIMCA 1100.« 

Ainsi la description du ravisseur ne correspond pas à celle de Christian Ranucci, le ravisseur ne portait pas de lunettes, tandis que Christian Ranucci ne peut absolument pas se passer des siennes, mieux encore s’il conduit un véhicule, de même le petit Jean Rambla ne reconnaît pas sa voiture et ne le reconnaît pas, il ne portait pas non plus les mêmes habits. Ainsi la voiture ne correspond pas sauf pour ce qui concerne la couleur grise, Christian Ranucci conduit un coupé Peugeot deux portes et le ravisseur une Simca 1100 quatre portes. On tente d’avancer que, vue de l’arrière, un coupé Peugeot pourrait se confondre avec une Simca 1100, cependant le garagiste a donné cette marque spontanément, et pour qui travaille comme carrossier depuis 25 ans, il  ne saurait se méprendre en vérité. Pas un élément, sinon les aveux sans valeur, ne vient corroborer la présence de Christian Ranucci sur les lieux de l’enlèvement.

Ainsi, l’accusation pour prospérer a besoin de s’entourer d’un redoutable nuage d’imprécisions et de silences, car les pièces qu’elle met en jeu ne coïncident pas ou ne coïncident qu’en forçant ou en déformant leur apparence.

Tout d’abord elle va éliminer toute une série de témoignage qui ont figuré un moment ou à un autre dans le dossier des enquêteurs, mais n’ont pas été versés dans le dossier d’instruction, ce qui constitue une grave atteinte aux droits de la défense et aux droits de l’homme tout simplement…

 

 

Lorsque le procès d’assises commence, après la désignation des jurés et l’appel des témoins, le greffier procède à la lecture de ce que l’on appelle l’arrêt de renvoi, il est la traduction du réquisitoire définitif rédigé par le juge d’instruction.

Ce réquisitoire contient tous les éléments d’accusation qui lui ont permis puis ont permis à la chambre d’accusation de fonder la pertinence du renvoi en cour d’assises.

Ce document place comme une affirmation l’horaire de l’enlèvement à 11h05 le 3 juin 1974. Ce qui signifie que Christian Ranucci devait parvenir au carrefour de Peypin à 11h35 à marche normale. Il ne s’y présente qu’une heure plus tard tandis que la halte que posent ses aveux ne dure qu’une dizaine de minutes.

Le réquisitoire ne retient pas la version que donne Christian Ranucci lors de ses aveux de l’enlèvement, qu’il se serait agi de chercher une bête et inviter la petite fille à partir en promenade. C’est dire le peu de valeur que leur accorde l’accusation elle même.

Le réquisitoire tente de retarder le plus possible l’heure de l’enlèvement et d’avancer le plus possible celle de l’accident qu’il situe à 12h15. Malheureusement, entre 11h35 et 12h15, il manque toujours 40 minutes pour que le premier événement puisse se raccorder temporellement avec le second.

Le réquisitoire, abordant l’accident occasionné par l’inculpé, signale que M. Martinez a pu distinguer nettement le visage anxieux et craintif de Christian Ranucci. Mais M. Martinez ne remarque personne d’autre. Il faudrait donc en conclure tout aussi nettement que l’enfant ne se trouve pas à bord de ce véhicule.

Il relate  ensuite comment M. Aubert a décidé de prendre le véhicule en chasse et comment les époux Aubert l’aperçoivent soudain au détour d’un virage, un kilomètre plus loin, arrêté – et c’est bien le coupé Peugeot qu’ils aperçoivent sans qu’il ne puisse surgir le moindre doute à ce sujet.

Et là réside le seul point où l’on peut constater une concordance presque absolue : Christian Ranucci s’est arrêté exactement – sous l’imprécision d’une dizaine de mètres tout au plus -,  à l’aplomb de l’endroit où le corps de l’enfant sera retrouvé. À partir de ce qui peut tout aussi bien constituer une coïncidence, l’accusation s’élabore :

« Cependant, les preuves matérielles s’accumulaient, emportant la conviction des enquêteurs :

– Tout d’abord, le lieu de découverte du cadavre de la fillette ne se trouvait qu’à 700 mètres seulement du carrefour où l’accident s’était produit et coïncidait parfaitement avec l’endroit où les époux AUBERT avaient vu s’enfoncer l’individu et l’enfant dans les fourrés.« …

Et ce point névralgique existe : le coupé Peugeot 304 s’est arrêté à l’aplomb de l’endroit où l’enfant a reçu 15 coups de couteau. Cependant rien ne permet d’affirmer que M. Aubert s’est approché de la voiture et qu’il a vu Christian Ranucci s’enfuir, comme nous l’avons analysé…

Cependant le réquisitoire reprend le témoignage des Aubert et surgit une impossibilité que l’on masque en indiquant qu’ils auraient aperçu l’homme sortir par la portière droite en plaquant un enfant contre lui.  Autrement dit, comme dans un film comique, ils seraient sortis ensemble par la portière côté passager. On suppose que cette sortie, ainsi décrite par le réquisitoire, s’est achevée par une roulade dans le fossé.

Ce n’est pas ce que M. Aubert a déclaré aux enquêteurs de la P.J. : il a indiqué qu’il avait vu un homme tirer un enfant, ce qui supposait que cet homme soit sorti déjà par l’autre porte, celle que l’accident avait pourtant bloquée irrémédiablement…

M. Aubert aurait alors entendu l’enfant dire : « Qu’est-ce qu’on fait ?« . Ce qui ne se peut pas, l’enfant si proche de personnes secourables se serait précipitée vers elles et aurait bien plutôt crié : « Il m’a enlevé, s’il vous plait, je vous en supplie, ramenez-moi chez moi !« . Mais l’accusation ne prend garde aux incohérences.

Il n’est nullement question dans l’exposé des faits que résume le réquisitoire de ce que M. Aubert aurait prévenu M. Martinez qu’il avait vu un homme avec un enfant à l’instant de lui communiquer le numéro minéralogique de la voiture.

Le réquisitoire entend de même comme une preuve matérielle que l’accident ayant eu lieu à 12h30 et l’inculpé ne réapparaissant aux yeux de M. Rahou et de M. Guazzone que vers 17h00, il s’en déduit qu’il se serait volontairement caché dans la champignonnière et que l’invention qu’il leur proposa d’être venu pour un pique-nique et d’avoir laissé la voiture glisser au fond du tunnel, laissait surprendre sa fourberie.

Cependant on se demande bien pourquoi, dès lors, il est parti chercher du secours, et s’est attardé à prendre le thé en leur compagnie et pourquoi il n’a pas attendu la nuit pour retirer son véhicule sans attirer l’attention.

Mieux encore, le réquisitoire décrit le chemin que dut parcourir l’accusé pour rejoindre le tunnel – en omettant d’ailleurs de préciser les deux embranchements de chemin qu’on ne peut choisir au hasard pour y parvenir  :

« En effet, pour aboutir à l’endroit où se trouvait le véhicule, il fallait non seulement parcourir 413 mètres sur un chemin conduisant par la RN 8 à l’entrée de la champignonnière, bien dissimulée dans un chemin creux bordé par des talus recouverts  de végétation, mais encore, dans la galerie d’accès, franchir un portail, choisir l’une des deux galeries divergentes 9 mètres plus loin et s’enfoncer, en marche arrière, dans l’ombre, dans une voie ne laissant plus qu’un passage de 2 mètres 25.« 

 

La conclusion que ne tire pas le réquisitoire est celle-ci : pour simplement trouver l’emplacement de ce tunnel, et de même avoir l’idée de se mettre en marche arrière pour y rentrer, il était indispensable de connaître ce lieu, or il est démontré que Christian Ranucci, résidant à Nice, en ignorait tout.

Une autre preuve matérielle avancée par l’accusation est celle du jerrican :

« D’après les déclarations de M. GUAZZONE, RANUCCI avait placé, et repris au moment de son départ de la champignonnière, un jerrican de 30 litres, contenant apparemment de l’eau qui, selon toute vraisemblance, avait servi à RANUCCI à effacer toute trace de sang sur sa personne.« 

Voilà un homme qui encourt la peine de mort, et pourtant, il ne vient même pas à l’idée du magistrat instructeur de faire rechercher ce jerrican et de s’assurer qu’il contient bien de l’eau. Le vocable « apparemment », « selon toute vraisemblance » qui fait comprendre qu’il ne s’agit en réalité que d’une supposition de l’accusation, est pour le moins inacceptable. On peut certes juger que Maître Lombard n’a pas accompli le travail minimum de l’avocat qui consistait à demander un supplément d’investigation au juge, il demeure que le procédé utilisé par l’enquête est pour le moins une injure à l’endroit du droit républicain.

Ainsi le réquisitoire peut écrire cette affirmation péremptoire :

« Il a eu le temps dans la champignonnière d’effacer toute trace de sang sur sa personne, probablement avec le liquide contenu dans le jerrican, puisqu’il était indemne de toute tâche suspecte.« 

Et l’on peut contempler ici l’extraordinaire renversement : l’accusation à qui revient la charge de la preuve s’en débarrasse sans aucun complexe et déduit à l’envers que le fait qu’il se soit trouvé sans tache suspecte provenait du fait qu’il s’était lavé, alors qu’il lui revenait de démontrer que cela était bien possible, ce qui – il suffit de réfléchir deux secondes – n’est nullement vraisemblable. De même en vérité, le jerrican pouvait tout aussi bien contenir de l’essence pour pallier à une panne. Et quand bien même il eut contenu de l’eau, s’il s’était agi pour Christian Ranucci de se laver dans le tunnel, alors l’intérieur de sa voiture, qu’il était censé avoir conduit jusque là préalablement eut été couvert de traces de sang, une incohérence d’une telle énormité qu’elle n’intéresse pas l’accusation.

En vérité, la voiture n’a pas pu être emportée par l’assassin hors des lieux du crime aussitôt après son forfait, il fallait qu’il ait pu se changer d’une part et que le sang ait séché préalablement. Il convenait alors d’en conclure que le meurtre s’était produit plus tôt, vers 11h45 et que l’assassin avait eu le temps de se changer avant que ne surgisse la voiture de Christian Ranucci.

Le réquisitoire utilise abondamment les aveux de Christian Ranucci, le plan qu’il aurait dessiné dans les locaux de la Police Judiciaire, dont on sait désormais ce qu’il convient d’en penser, et deux éléments matériels : un pantalon taché de sang et un couteau censé lui appartenir.

C’est là le bloc principal de l’accusation : Christian Ranucci a désigné l’endroit où se trouvait le couteau le 6 juin et les gendarmes l’on découvert à cet endroit après deux heures de recherches. De même, un pantalon taché de sang fait partie des scellés dont on affirme qu’il se trouvait dans le coffre de sa voiture.

Les magistrats instructeurs tentent d’appuyer les aveux de Christian Ranucci, replaçant le couteau ensanglanté dans sa poche après le forfait qu’on lui attribue, parce que justement le pantalon qu’il aurait porté serait taché de sang. Cependant lors de ses aveux, il n’indique nullement s’être changé. Le scénario, en plus le fait qu’il recèle nombre d’incohérences, est donc quelque peu fluctuant et imprécis.

 

 

Le réquisitoire présente également comme une preuve matérielle le fait que les mains de Christian Ranucci sont égratignées, ce qui devrait signifier qu’il a de ses mains caché le corps avec des branchages, l’on se garde de donner son explication qu’on ne lui a d’ailleurs jamais demandé : le fait qu’il avait tenté de se désembourber avec des branches avant de requérir de l’aide auprès de M. Rahou, ce dont atteste M. Guazzone qui a constaté la présence de ces branches et en a témoigné.

Une phrase du réquisitoire est significative de la façon dont la rédaction a pu tromper les jurés – par brouillard et raccourci dont on n’ose croire qu’elle est volontaire, et le procédé, s’agissant d’un inculpé qui risque sa tête, est rien moins que particulièrement choquant :

« Après le meurtre, il est évident qu’ayant dissimulé le cadavre, il s’est caché avec sa voiture dans la champignonnière espérant que dans la confusion régnant à la suite de l’accident, personne ne pourrait le rejoindre et relever le numéro d’immatriculation de son véhicule. »

En effet, si l’on porte attention à ce qu’écrivent les juges d’instruction Michel et Di Marino, l’on se rend compte aussitôt que le scénario est absurde : pourquoi s’arrêter au bord de la nationale s’il s’agit de se dissimuler, et ne pas emprunter tout de suite un chemin de campagne ? Pourquoi dissimuler le corps alors que la voiture se trouve arrêtée à la vue de n’importe quel passant, à quoi s’ajoute le fait – si l’on retient la version donnée aux policiers par le couple Aubert –  que Christian Ranucci ne pouvait manquer d’avoir aperçu ces derniers ? Le raccourci consiste donc à télescoper le fait de s’arrêter sur le bord d’une route fréquentée et le fait de se cacher dans un tunnel qui sont deux événements nettement distingués, séparés par intervalle d’espace, et par intervalle de temps.

Et de fait, il n’y a rien d’évident.

L’autre procédé inqualifiable dont se sert l’accusation consiste en une opération d’appel à témoins, où les enquêteurs se permettent de publier la photo de Christian Ranucci – pour cette fois veille-t-on à ce qu’il porte ses lunettes… – en passant une petite annonce qui fleure bon le respect de la présomption d’innocence, pour recueillir des dépositions appuyant le fait qu’il aurait agressé auparavant des enfants.

 

Il s’en trouve deux, Mme Spineck et M. Marc Pappalardo à rapporter ces dénonciations pour le compte de leurs enfants Sandra et Patrice. Lors de la seule confrontation, Christian Ranucci n’est assisté d’aucun avocat, ce qui ne choque nullement le juge d’instruction Ilda Di Marino. On ne dira jamais assez la haute conscience des avocats français, voilà pourtant un client qui risque la mort et voilà qu’ils ne sont pas présents…

Un homme vêtu d’un imperméable gris ou vert, portant des lunettes, aurait poursuivi Sandra Spineck dans les escaliers lorsqu’elle rentrait chez elle et sa mère se serait interposée, cependant rien n’est résolu sur la possibilité que Christian Ranucci ait pu matériellement être présent à ce moment puisqu’à  cette époque, il se trouvait en Allemagne et que les dates imprécises avancées par la mère ne semblent pas correspondre à ses périodes de permission, qu’il ne possédait nul imperméable de cette couleur – à moins qu’il n’ait décidé de se déguiser en empruntant l’imperméable kaki attribué par l’armée (tout est possible…). Sandra Spineck d’ailleurs ne le reconnaît pas. De même, aurait-il emmené dans un parking un enfant de quatre ans dénommé Patrice Pappalardo pour discuter avec lui et lui offrir des bonbons, et celui-ci l’aurait reconnu d’après son père en sa présence le lendemain. Mais Patrice Pappalardo lui non plus ne reconnaît pas Christian Ranucci… Et bien entendu, le magistrat instructeur ne jugera pas utile de faire vérifier s’il était possible que Christian Ranucci ait pu être présent dans le hall d’immeuble comme le prétend Marc Pappalardo…  Un inculpé qui risque la peine de mort ? pourquoi s’embarrasser…

Chose curieuse, Christian Ranucci n’est pas le moins du monde inculpé pour ces faits, qui relèvent pourtant du tribunal correctionnel. C’est dire le sérieux du procédé et l’assurance des enquêteurs.

Ce sont des affirmations de témoins que rien ne vient corroborer. En revanche le réquisitoire ne fait nullement mention du fait que sa mère gardait des enfants et que ces enfants là adoraient Christian Ranucci et regrettaient de ne pas le voir lorsqu’il s’absentait.

Enfin, l’accusation s’appuie sur l’examen médico-psychologique pour affirmer que :

« Privé de l’autorité paternelle, dont l’image est ressentie comme agressive et éprouvant pour sa mère des sentiments teintés de sado-masochisme, il n’a pu construire une vie affective et sentimentale harmonieuse, sa sexualité demeurant immature et mal orientée.

Il s’hyper-contrôle, refoulant une agressivité et un sadisme accentué par l’angoisse et susceptibles de s’extérioriser sous l’effet d’une très forte émotion.« 

Est-il indiqué de s’en remettre à l’avis de la psychologue Myriam Colder ou bien à celui de la première compagne de Christian, Monique, qui parle d’un garçon doux et agréable, normal sur tous les plans, pour définir le sado-masochisme et « l’hyper-contrôle » que l’accusation invoque, simplement en rappelant que le procédé est exactement celui qui fut utilisé pour appuyer l’accusation contre Patrick Dils, celui de la « cocotte-minute », comme s’il n’existait pas sur terre de personnes calmes qui ne se fâchent nullement ?

En réalité, les psychiatres et les psychologues ont emprunté le chemin inverse de ce qu’il convient de faire : partir de la personne pour estimer en quoi l’acte correspondrait à tel ou tel aspect de sa personnalité, et non pas partir des faits rapportés par des aveux pour plaquer sur l’inculpé une personnalité qui ne lui appartient pas.

Car le crime contre Marie-Dolorès Rambla ne pouvait être l’œuvre que d’un grand psychopathe, ce que Christian Ranucci n’était pas. Et c’est à la recherche de cette image qu’il est temps de commencer…

 
Chapitre 28

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6 réflexions sur “27 Ce qu’il en est de l’accusation portée envers Christian Ranucci… ou comment les incohérences disparaissent aux yeux des jurés

  1. Pour ce qui concerne l’enlèvement.

    Une phrase de Monsieur Spinelli est très intéressante.
    Elle dit que la fillette est montée à l’avant du véhicule.

    Je pense que si Monsieur Spinelli précise naturellement cela, c’est bel et bien parce qu’il s’agit d’une Simca 1100 4 portes.
    Il est probable que s’il s’était agi d’un coupé il aurait simplement dit : La fillette est montée dans le véhicule.

  2. Si Jean connait les marques de voitures, pourquoi sur le procès-verbal il est mentionné une voiture de couleur grise ?
    Pour le garagiste, il reconnait qu’il a pu se tromper car il a vu la voiture à 40 mètres de trois-quarts arrière et que c’est fort ressemblant, déclaration de M. Spinelli dans « l’ombre d’un doute » sur TF1.

  3. M. Spinelli fait cette déclaration lors de l’émission « le Droit de savoir » : il répond au journaliste qui l’interroge 30 ans après en expliquant qu’il a pu se tromper, que les Peugeot et les Simca se ressemblent vu de trois-quart arrière, que les phares sont carrés dans les deux cas.

    À ce point qu’on se dit qu’on ne lui confierait pas sa voiture à réparer !

    En réalité M. Spinelli reprend ce que l’inspecteur Porte a rédigé 30 ans plus tôt le 6 juin 1974, alors qu’il venait de passer au tapissage et n’avait pas reconnu Christian Ranucci parmi les cinq personnes qu’on lui présentait.

    Effectivement il explique ceci :
    « En ce qui concerne la voiture, j’ai déclaré qu’il s’agissait d’une Simca 1100. Je dois vous dire que j’avais également vu ce véhicule à quarante mètres et que je n’y avais pas porté attention. Il est donc possible que j’aie confondu une Simca 1100 avec un coupé 304 car, je le redis, je n’avais pas fait très attention à cela. Les deux voitures se ressemblent.»

    Mais cela ne le satisfait pas et il refuse de signer. L’inspecteur Porte accepte alors de rajouter la mention suivante pour laquelle on imagine que M. Spinelli a dû beaucoup insister :

    « Je tiens à préciser que je suis mécanicien de métier et que je connais donc parfaitement tous les types de voitures. »

    Ce qui finalement signifie : pour ce qui regarde la marque de la voiture, je ne peux pas me tromper, c’est justement mon métier…

    (On a essayé de lui faire dire aussi qu’il avait le soleil dans les yeux, ce qui l’aurait empêché de voir… Cependant à 11 heures, ce n’est pas de chance, vu l’orientation du garage, le soleil est encore dans son dos…)

    La question qui se pose est alors celle-ci : pour quelle raison, lorsque M. Spinelli vient de lui-même témoigner le 4 juin, indique-t-il aux policiers qui le retranscrivent qu’il a vu un fillette monter dans une Simca 1100 ? :

    «Je tiens, déclare-t-il, à vous rapporter certains faits dont j’ai été le témoin. Sur le moment, je n’y avais pas prêté une attention particulière. C’est seulement en apprenant qu’une fillette avait été enlevée à la cité Sainte-Agnès que je prends conscience de l’importance de ce que j’ai vu… (…)
    À onze heures moins dix, je suis sorti sur le trottoir. Je me souviens bien de l’heure car je me rendais chez ma mère. J’ai aperçu au bas de la traverse Albe une voiture de marque Simca 1100 de couleur gris clair. Une fillette prenait place côté passager avant, tandis qu’un homme âgé d’une trentaine d’années prenait place au volant du véhicule. (…)
    Je n’ai pas relevé le numéro minéralogique de cette voiture Simca 1100.
     »

    Pourquoi ne dit-il pas qu’il n’est pas sûr et que cela pourrait tout aussi bien être une Peugeot ? À nul doute pour la raison qu’un garagiste carrossier possède les voitures dans l’oeil et intègre les marques de façon mécanique et automatique, même sans y faire attention.
    Quand Eugène Spinelli vient témoigner, il a peut-être lu que le petit Jean avait reconnu une Simca 1100 puisque cinq ou six journaux le rapportent, mais à ce moment là, n’aurait-il pas évoqué ce fait ?

    Jean c’est différent, les journalistes l’entendent parler d’une Simca 1100, Roger Harduin le remémore, de même Alex Panzani. Ce qui semble pour le moins significatif c’est que les deux témoins de l’enlèvement sont donc d’accord sur la marque de la voiture. Or ce n’est pas la voiture de Christian Ranucci.

    Il paraît probable que les enquêteurs aient été sceptiques sur le fait que Jean Rambla soit apte à reconnaître des voitures et c’est la raison pour laquelle sans doute le procès-verbal s’en tient à la couleur grise sans évoquer la marque ou le modèle, cependant on lui montre plusieurs types de véhicules, donc le coupé de Christian Ranucci. Or, non seulement il ne reconnaît pas la voiture de Christian Ranucci comme étant celle de l’enlèvement, mais il désigne une Simca encore une fois, qui n’est certes pas du même modèle, mais sait-on s’il figurait une Simca 1100 dans la cour de l’Évêché ?

    Et mieux encore, Mme Mattéi également a reconnu une Simca 1100 de couleur grise, tout comme sa fille et son amie, conduite par un homme qui cherchait un chien et qui tentait de les faire monter dans sa voiture !

    Ce qui semble décisif, c’est qu’il n’y a pas de collusions entre eux. Ces témoins ne se connaissent pas, ou bien ne se sont pas concertés.

    Personne ne voit une Peugeot, personne ne la reconnaît, encore moins le petit Jean qui désigne dans la cour comme pouvant se rapporter à la voiture du ravisseur une Simca Chrysler. Certes les voitures ne se ressemblent pas, mais a contrario, si les Peugeot et les Simca se ressemblent à ce point, comment se fait-il que Jean Rambla soit si affirmatif lorsqu’il dit que ce n’est pas cette voiture…
    Si elle se ressemblent, cet enfant ne devrait pas être catégorique, il devrait hésiter et le procès-verbal devrait l’indiquer. Or il n’y a rien de tout cela.

    Une caractéristique est remarquable lorsqu’on s’approche de la voiture de Christian Ranucci : les housses de sièges sont rouge vif. C’est le genre de détail qui aurait du frapper le petit Jean qui avait alors un point d’appui par où reprendre ses souvenirs. Et cependant il n’en dit rien…

    Et personne d’ailleurs ne songe à lui demander si la voiture avait deux portes, ou bien quatre portes…

    Autrement, dit, on tente de forcer les pièces du puzzle à rentrer les unes dans les autres, mais chacun sait que les pièces d’un puzzle s’emboîtent par cohérence… Et si le meurtrier n’a pas de lunettes et roule en Simca plutôt que dans un coupé Peugeot, on peut tordre les choses dans tous les sens : ça ne colle pas.

  4. Certes, il y a trop de zones d’ombres et d’incertitudes dans cette affaire, dans les deux sens d’ailleurs …
    Pourquoi a-t-il pris la fuite à l’issue de l’accident ? (Était-il en règle sachant qu’on ne parlait pas encore d’alcoolémie à cette époque donc il suffisait de vérifier permis et assurance). En effet, on prend la fuite si on a quelque chose à se reprocher, à cacher…
    Pourquoi s’est-il retrouvé embourbé près les lieux du crime alors qu’ils sont invisibles de la route et qu’il ne connaissait absolument pas la région, résidant à Nice ?
    Tout ceci aurait du lever un doute raisonnable et le faire condamner à perpétuité, ce qui aurait eu l’avantage d’être réversible comme dans le cas de Patrick Dils. Mais pour l’opinion publique, c’est à dire moi, vous et les autres, il fallait un coupable rapidement et une peine sanglante…

    1. Je pense que si vous lisez les pages de ce site, un certain nombre de zones d’ombres et d’incertitudes devraient pouvoir trouver un début de réponse. Il ne subsiste plus aujourd’hui tant d’incertitudes dans cette affaire : il s’agit bien d’un dossier truqué dans lequel, comme par prestidigitation, on fait paraître certaines choses pour ce qu’elles ne sont pas.
      Pourquoi Christian Ranucci a-t-il pris la fuite ?
      Je n’ai pas le souvenir qu’on ait été à cette époque si tolérant que cela vis-à-vis de l’alcool à ce qu’il me semble et la conduite en état d’ébriété donnait lieu dès cette époque – la limite de l’infraction passible de correctionnelle étant 1,2 g/litre dans le sang (entre 0,8 et 1,2 l’infraction était passible d’une contravention) – à une condamnation lourde de deux ans de prison, y compris sans cause d’accident, même si cette peine n’était pratiquement jamais prononcée dans les faits :
      «  l’ordonnance n° 58-1216 du 15 décembre 1958 a fait de la conduite en état d’ivresse manifeste ou sous l’empire d’un état alcoolique une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 500.000 (anciens) francs d’amende ;
      – la loi n° 65-373 du 18 mai 1965 a autorisé le dépistage de l’imprégnation alcoolique par air expiré en cas d’infraction grave au code de la route ou d’accident. Elle a ainsi permis de sanctionner la conduite sous l’empire de l’alcool même en l’absence d’ivresse manifeste. Aucun seuil de présence d’alcool dans le sang n’était encore défini ;
      – la loi n° 70-597 du 9 juillet 1970 a institué un taux légal d’alcoolémie fixé à 0,8 g d’alcool par litre de sang. Elle a fait de la conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par son taux d’alcoolémie de 0,8 g à 1,2 g une contravention, la conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par un taux supérieur à 1,2 g étant un délit…
       »

      Il y a celles qu’il donne lui-même et qui ne sont pas à négliger : comme jeune conducteur, il payait déjà très cher son assurance, c’est ce qu’il dit en garde-à-vue et c’est l’une des rares choses que l’on peut retenir :
       » J’ignore le genre de voiture avec laquelle j’ai eu l’accident. Je me suis affolé et je suis parti droit devant moi. Payant très cher l’assurance, j’avais peur de l’augmentation de celle-ci et de la suppression du permis.
      Je ne me souviens pas avoir été poursuivi par un témoin.
       »

      En plus du fait que pour ce qui concerne l’accident, il se trouvait à nul doute en tort pour ne pas avoir respecté le céder le passage, il y a sans doute d’autres raisons qui tiennent au fait qu’il n’avait pas dormi de la nuit et que la rencontre avec son père à Allauch s’était sans doute fort mal passée.

      En lisant les pages du site, vous pourrez sans doute vous apercevoir que la thèse de l’accusation n’est pas recevable : si ce jeune homme transportait une enfant, il ne se serait pas arrêté au bord d’une nationale, il aurait fait comme le ravisseur, il serait allé chercher un chemin désert – nous pensons qu’il s’agit du chemin de la Doria – dans lequel il se serait assuré que personne ne pourrait l’atteindre.
      Si Marie-Dolorès se trouve à cet endroit, c’est qu’elle s’est enfuie et qu’elle a échappé à son ravisseur, d’où sa fureur lorsqu’il parvient à la rattraper.
      Effectivement, il fallait qu’un homme ait conduit la voiture dans ce tunnel, qui lui connaissait parfaitement les lieux et l’existence de ces excavations. Car c’est un endroit qu’il est difficile de repérer lorsque l’on s’y rend pour la première fois.
      Le doute raisonnable doit conduire à l’acquittement, non pas à la réclusion criminelle à perpétuité… C’est comme cela que la loi est écrite : plutôt, le doute doit profiter à l’accusé, charge étant au jury d’avoir une intime conviction, autrement dit, n’avoir aucun doute sur le fait d’être convaincu jusqu’au plus profond de soi-même que la personne est coupable. Mais les choses étaient alors présentées de telle façon que les jurés n’ait pas à réfléchir. On en a fait de froids assassins.

  5. je viens apporter quelque précisions, entre la Simca 1100 et la Peugeot 304 coupé, en dehors de la Ligne extérieur,

    La Simca 1100 était connue et très populaire à son époque et facilement reconnaissable , je me souviens très bien, contrairement aux autres marques, les Moteurs étaient bruyants, cliquetis, dus aux réglages ( voulue par le constructeur de la rampe de culbuteur ), qui n’était pas spécialement désagréables et qui avait sa particularité!

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