Une fois l’entaille portée dans la proposition de loi, la disposition qu’il fût possible au procureur général de faire appel des acquittements allait prospérer en ce paradoxe qu’il fallait à tout prix se garder de l’erreur judiciaire – feignant de croire qu’un acquittement pu en faire partie. Elle était d’ores et déjà rétroactive puisqu’elle aggravait la situation d’un accusé qui, sans une telle disposition se serait trouvé acquitté définitivement, mais cela ne troublait nullement les parlementaires qui viennent prétendre en suite – par maladresse, par ignorance et béatitude sans doute – qu’ils sont les garants et le rempart des libertés publiques. Il est préférable d’en sourire.
La loi fut adoptée en première lecture qui limitait l’appel des acquittements aux situations exactement conformes à l’affaire Lubin et dès lors confiée aux sénateurs pour lesquels M. Jean-Pierre Shosteck allait œuvrer à son accomplissement. Il fit son rapport, tout à la gloire d’honorer l’esprit de réaction qui est la marque du Sénat depuis Napoléon 1er :
« Sur un point seulement, l’appel en matière criminelle, votre commission est conduite à revenir sur une position défendue par notre assemblée. Le Sénat avait estimé difficile de permettre une remise en cause des décisions d’acquittement. Rappelons que l’Assemblée nationale souhaitait quant à elle interdire tout appel du ministère public. Le Sénat a pu lui faire entendre raison sur ce point et un tel succès suffit à justifier que notre assemblée ait recherché un accord sur la loi relative à la présomption d’innocence.
À la réflexion, il faut reconnaître que l’égalité des armes doit être absolue et qu’il n’est guère compréhensible que le ministère public soit privé de toute possibilité d’appel en cas d’acquittement. Afin de bien marquer l’importance d’une décision d’appel à l’encontre d’un arrêt d’acquittement, votre commission vous propose qu’elle soit réservée au procureur général. »
M. Shosteck tempérait-il son avis péremptoire du respect des droits de l’homme qui consistait à introduire la motivation des arrêts, que la condamnation après un acquittement requérait à nul doute ? Nullement. M. Shosteck défendait les droits du parquet, non pas les droits de l’homme comme bien on pense. La vertu républicaine trouve ici son rivage pour échouer.
Or ainsi les opinions concordantes allait se révéler tout au long des débats ainsi qu’il en est rapporté lors de la séance du 7 février 2002, chacun surenchérissant sur l’autre pour – grands Dieux – se vouer à l’éradication des erreurs judiciaires et faire passer cette loi pour le moins scélérate qui allait justement les provoquer.
« M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de permettre au parquet de faire directement appel des arrêts afin de respecter l’« égalité des armes ».
Nous devons toutefois garder présent à l’esprit que l’appel d’une décision d’acquittement rendue par un jury populaire doit évidemment être maniée avec toute la prudence qui s’impose. Cet amendement tend donc à réserver cet appel au procureur général.
Ce choix pourrait permettre, me semble-t-il, une harmonisation des politiques pénales au sein des cours d’appel, mais aussi éviter des appels injustifiés et peut-être excessifs. En outre, le grade important du magistrat en question donnerait une certaine solennité à cette action, qui doit demeurer relativement exceptionnelle.
Il faut éviter qu’un appel soit formé dans des hypothèses où la probabilité de voir prononcé par la cour d’assises d’appel un deuxième acquittement serait très élevée, ce qui donnerait un faux espoir à certains.
La commission propose, par conséquent, que ce soit le procureur général qui puisse faire appel.«
M. Schosteck se place du point de vue des victimes qui n’obtiennent pas ce qu’elles sont venues chercher, la vengeance de la société qui – croient-elles – pourraient les apaiser. Car comment pourrait s’entendre autrement cet acharnement à recommencer un procès lorsque que le précédent n’a pu exhumer les moyens de preuve qu’exigerait une condamnation. Il n’est plus question du doute qui devrait profiter à l’accusé et de ce qui garantirait par la motivation du verdict que les preuves se sont révélées lors du second verdict…
Mme Lebranchu n’a plus de politique à défendre, sinon s’agenouiller…
« M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La rédaction initiale de l’article 5 de la proposition de loi de M. Dray et des membres du groupe socialiste de l’Assemblée nationale prévoyait que l’appel des arrêts d’acquittement de cours d’assises ne pouvait intervenir qu’en cas de co-accusé.
J’ai défendu cette position parce qu’il me semble effectivement qu’entre le premier verdict rendu par un jury populaire après des débats oraux et le deuxième il est difficile de dire quel est le plus acceptable par la société.
Il s’agit d’un vrai sujet de fond. J’avais d’ailleurs émis des doutes sur ce dispositif lorsqu’il n’y a qu’un seul accusé.
Je considère toutefois qu’il est mieux que ce soit le procureur général qui soit responsable de cet appel. Ce magistrat appréciera s’il convient de faire appel au vu des observations et à la demande du procureur de la République, ou de son substitut, qui aura suivi l’affaire en première instance et qui connaît le mieux l’affaire.
En fin de compte, c’est au procureur général qu’il appartiendra de prendre la décision au regard également de la politique pénale dont il a la charge d’assurer une application homogène dans le ressort de la cour d’appel.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.«
Le Garde des Sceaux a donc tenté d’endiguer cette verve réformatrice et gardait à l’esprit qu’il n’apparaîtrait pas plus acceptable le second verdict de condamnation – et peut-être tellement lourd – que le premier d’acquittement. Elle pressentait donc le malheur qui viendrait à s’engendrer à sa suite. Et pourtant, elle s’inclina. Les injonctions de la cour de cassation étaient plus puissantes que la volonté d’un ministre ou d’un parlement réduit à n’être qu’un tribunat de fin d’empire et le sénat une chambre d’enregistrement…
Le prétendu humanisme de M.Robert Badinter s’incline tôt devant les pressions de l’institution…
« M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 17.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cette question a été longuement débattue au sein de la commission des lois... »
L’on pourrait croire que le grand Ministre va s’élever contre un tel abus, qu’il va invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition rétroactive comme il ne s’en est plus vu depuis le régime de Vichy, qu’il va porter la foudre contre un appel qui s’exerce au mépris de la motivation nécessaire du verdict, qu’il va ferrailler pour rappeler que le code de procédure pénale ne prévoit pas qu’on puisse reprendre un accusé acquitté légalement…
Comme il semble révéler à son corps défendant que cette loi est de circonstance et doit s’appliquer dans les meilleurs délais à M. Daniel Massé, expressément pour lui…
Rien de tout cela, il invoque on ne sait quelle compassion, une sensibilité si fragile qu’elle s’éteint comme flamme d’une chandelle au souffle des magistrats…
M. Robert Badinter. Notre collègue et ami M. Fauchon se souvient d’ailleurs combien nous nous étions interrogés sur le principe de l’appel.
M. Pierre Fauchon. Cela continue !
M. Robert Badinter. C’est plus, je dois le dire, pour des raisons de sensibilité que de logique juridique que nous avons finalement considéré qu’il nous fallait faire un geste d’« humanité » pour celui qui a attendu pendant des années une décision. Quand le verdict d’acquittement a été prononcé, s’entendre dire qu’appel est interjeté et que l’on repart encore pour des années d’angoisse, c’est trop dur.
M. Badinter, se trompe, car lorsqu’il s’agit d’une erreur judiciaire, repartir pour des années d’angoisse, cela coûte terriblement cher, non pas à l’accusé à tort seulement, mais également à la réputation de la France…
Trop dur dit-il ? Pas assez pour qu’il vienne s’interposer, et à suggérer ce nombre incalculable d’années, comment ne pourrait-on songer à cet instant à M. Massé qui attend que l’accusation que l’on fait peser à tort contre lui depuis plus de sept ans, vienne se résoudre enfin… Comme si le cas de M. Daniel Massé était parvenu à l’oreille de M. Badinter par on ne sait quel chemin mystérieux et qu’il en était fait part, sous cette forme codée.
Voilà que le parlement concocte en toute connaissance de cause, en mesurant pleinement les souffrances qu’il va lui infliger, avec la bénédiction de l’une des plus grandes figures de la République, M. Badinter, une loi rétroactive pour passer outre la faiblesse des charges qu’on fait peser sur lui.
La comédie qui se joue alors, c’est la sienne. C’est de Daniel Massé dont on parle, nullement d’un autre, lui qui a suspendu sa vie des années et des années durant pour attendre une décision et qui repart pour encore des années de prison… Tout est contenu dans quelques phrases retranscrites d’une séance au Sénat, où se bousculent les arguments fallacieux et les arguties inconvenantes.
Et entend invoquer ce qu’il croît des motivations et de l’avis prochains de la Cour européenne…
« M. Robert Badinter. Sur le plan de la logique juridique, il est en revanche indispensable que l’égalité des armes commande qu’il y ait appel. La logique juridique l’emportera donc.
J’ai par ailleurs toujours pensé que cette procédure ne résisterait pas aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne très précisément le droit d’appel, notre excellent rapporteur de la commission des lois préfère qu’il relève du procureur général. Il me semble pour ma part qu’il vaut mieux en rester à la compétence du ministère public, donc du procureur de la République, qui aura suivi le dossier par les ordonnances de soit-communiqué, qui aura été et qui sera donc à même d’apprécier s’il y a lieu de faire appel ou pas. »
Ainsi, M. Badinter veut donner au procureur Gaubert, celui dont nous verrons comment la haine et le ressentiment qu’il portait à l’égard de M. Massé se sont manifestés, avec violence et hargne fielleuses, le pouvoir d’interjeter appel. Alors un sénateur UMP de l’Essonne, Laurent Béteille, s’interroge et s’interpose, puis s’incline à son tour…
« M. Laurent Béteille. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille.
Le problème de l’appel du parquet est complexe. Ne faudrait-il pas le réserver à des appels provoqués ? Suite à un appel d’un des accusés, le parquet ferait appel à son tour pour remettre les choses complètement à plat devant la nouvelle cour d’assises, qui pourrait aussi bien diminuer la peine que l’aggraver. Ce serait probablement préférable à la procédure qui a été prévue. Mais nous n’allons pas revenir là-dessus. »
Non il ne fallait plus revenir là-dessus et quelques députés du parti socialiste ou de l’UMP se firent les chantres de la volonté de l’institution judiciaire…
« La même proposition figure dans la proposition de loi de notre excellent collègue M. Hubert Haenel, qui observe, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi que « l’égalité des armes ne se divise pas. Accroître les droits de la défense au nom de l’égalité des armes est une évolution heureuse à condition de ne pas créer une nouvelle inégalité, au détriment cette fois de la société ». »
« M. Dominique Raimbourg a réfuté l’existence d’un lien entre l’insécurité et l’entrée en vigueur de la loi renforçant la présomption d’innocence. (…) Il a, enfin, regretté que la faculté reconnue au procureur d’interjeter appel des décisions de la cour d’assises soit limitée au seul cas où il existe des coaccusés, jugeant qu’il serait préférable que le parquet puisse faire appel dans tous les cas. »
« Article 5 (art. 380-2 du code de procédure pénale) : Appel des arrêts d’acquittement :
« La Commission a repoussé l’amendement n° 1 de M. Émile Blessig, avant d’accepter les amendements identiques n° 78 de Mme Christine Lazerges et n° 37 de M. Christian Estrosi étendant le droit d’appel du Parquet à l’ensemble des arrêts d’acquittement des cours d’assises. »
« M. Christian Estrosi – La commission a adopté mon amendement 7. Il s’agit de permettre les appels au-delà du seul cas d’un coaccusé.
M. le Rapporteur – Mme Lazerges avait déposé un amendement analogue. La question de l’égalité des armes reste en effet posée.
M. Patrick Devedjian – C’est un coup oui, un coup non !
M. le Rapporteur – Il ne faut donc pas limiter l’appel aux situations de coaccusé. Avis favorable.
Mme la Garde des Sceaux – Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.
L’amendement 37, mis aux voix, est adopté.
L’article 5 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. »
Parler de sagesse s’agissant d’une telle loi, le mot prononcé par la pauvre Mme Lebranchu se trouvait soudain particulièrement usurpé.
À présent, si l’on interroge les parlementaires qui ont approuvé cette disposition, que l’on soulève la question de son caractère rétroactif, voilà qu’ils se réfugient dans le silence ou cette sotie qui leur permet le retrait et l’indifférence feinte : la séparation des pouvoirs.
C’est peut-être qu’ils sont saisis d’épouvante de ce qui s’ensuivit de leurs opinions passées, fussent-elles à l’emporte-pièce.
Il se révéla alors que l’impossibilité de faire appel des acquittements ne contrevenait nullement à la Convention européenne des droits de l’homme…
La réforme aboutissant au vote d’une loi rétroactive s’était déclenchée par prétexte, l’affaire Lubin, les parlementaires et M. Badinter, sans doute juristes intempérants, s’étaient persuadés que la Convention ne permettait pas qu’un accusé ne fut pas repris après un acquittement en présence d’un coaccusé au nom d’on ne sait quelle « égalité des armes ».
La Cour européenne leur donna entièrement tort et aboutit à la conclusion que le procès de Magali Guillemot était, pour ce qui concerne la question soulevée, en tous points conforme aux droits protégés par la Convention :
« 49. La Cour reconnaît que le changement de statut de Jérôme Duchemin, accusé en première instance puis témoin à charge en appel, a pu faciliter la tâche du ministère public.
50. Toutefois, tous les éléments à charge ont été présentés et discutés contradictoirement ; la requérante, en personne ou par l’intermédiaire de ses avocats, a pu faire valoir tous les arguments qu’elle a estimé utiles à la défense de ses intérêts et présenter les moyens de preuve en sa faveur. En particulier, elle a pu contester la constitution de partie civile de Jérôme Duchemin qui fut déclarée irrecevable et elle a également pu l’interroger.
Il apparaît donc que la cour d’assises d’appel s’est prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire au cours de laquelle les différents moyens de preuve présentés par chaque partie ont été débattus. La requérante a pu contester les moyens développés par la partie poursuivante et faire valoir toutes les observations et arguments qu’elle a estimé nécessaires. »
Voilà ce qu’il en était de l’opinion malheureuse de M. Badinter :
« J’ai par ailleurs toujours pensé que cette procédure ne résisterait pas aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. »
La Cour européenne énonçait :
« 51. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le fait que la requérante se soit retrouvée seule accusée devant la cour d’assises d’appel n’a pas, en l’espèce, porté atteinte au droit à un procès équitable.
52. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. »
Maître Paul Lombard ne semblait pas réellement soucieux des intérêts de sa cliente, sinon aurait-il saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme de la véritable violation des droits fondamentaux dont Magali Guillemot était victime : le verdict qui la condamnait n’était pas motivé.
Il s’en garda bien, il aurait fallu alors à nul doute réformer la loi, et recommencer le procès.
Et faut-il en conclure que la requête de l’infortunée cliente de Maître Lombard n’avait d’autre objet que de dissimuler le principe injustifiable de la loi censée lui apporter une résolution et qui aggravait la situation des acquittés, tandis que les faits qui leur étaient reprochés lui étaient antérieurs.
Désormais, du caractère rétroactif de la loi – contraire à la Convention européenne et son protocole ratifié par la France, il convenait à tout prix qu’il fût dissimulé…
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