Que cet homme, dont on ne connaît que la pièce de vêtement écarlate qu’il portait lorsqu’il agressait des enfants, ait pu décider après le meurtre de Marie-Dolorès Rambla de monter dans la voiture de Christian Ranucci et le basculer sur le siège arrière pour le conduire dans un tunnel perdu au milieu d’une lande, l’évocation suscitait l’incrédulité, l’incompréhension, comme s’il s’agissait d’un prodige.

Il apparaissait même que l’opération de basculer le corps inconscient du jeune homme sur la banquette arrière tenait d’une gageure dans un habitacle aussi restreint que celui d’un coupé. Comment cet homme avait-il procédé ? On parlait d’invraisemblance, on rétorquait : mais si Christian Ranucci était venu à se réveiller brusquement ?

Il se serait passé bien moins de conséquence que ces rencontres fortuites (lorsque certains témoins ont aperçu le probable complice de Francis Heaulme à Montigny-lès-Metz, le torse couvert de sang, ce qui n’intéressa nullement les enquêteurs) – car il semble bien que cet homme avait pris d’autres habits, qu’il apparaissait nulle part les traces de son crime, et qu’il se serait justifié comme Christian Ranucci tentait de faire paraître pour naturel par des réponses inattendues la présence incongrue de sa voiture au fond du tunnel…

Et le mystère véritable ne se révélait pas à décider si le fait de prendre le volant à la place du conducteur était chose impossible ou non, mais de considérer le coupé Peugeot au fond de ce tunnel.

L’amener jusqu’à cet endroit relevait d’un implacable volonté… Pour qui ne connaît pas, il est impossible de rallier l’endroit.

Pour qui ne connaît pas, il n’est nul préférence de prendre le chemin sur la gauche plutôt qu’à droite lorsque l’on atteint le haut de la montée, et la solitude que l’on éprouve en ces lieux devait convaincre de ne pas poursuivre plus avant, pas plus qu’il n’est de raison de soudain tourner à droite pour gagner le second terre-plein,

plutôt que de se diriger vers le grand hangar que l’on aperçoit sur la gauche.

De même, une fois sur le second terre-plein, même à considérer la présence de la cabane, rien ne laisse percevoir qu’il se trouverait l’entrée d’un tunnel.

Jusqu’à l’extrémité du sentier, ce dernier demeure invisible aux regards.

Parfois l’on voulait bien admettre que cet homme avait conduit Christian Ranucci au fond de cette cave, mais l’on supposait Christian Ranucci conscient, ce qui était certes incompréhensible puisque nulle explication sereine aurait pu donner quelque sens à une telle manœuvre.

Il fallait imaginer cet inconnu parvenir par cahots sur cette sorte d’esplanade, faire un demi-tour pour placer la voiture en marche arrière et puis descendre selon la courbe du chemin. Tout ceci exigeait une sorte de lucidité irréelle, celle de celui qui vient de commettre un acte irréparable et trouve un exutoire dans ces gestes qui nous paraissent hors de tout sens.

L’on pouvait déduire de son crime que cet homme était pris d’une paranoïa virulente et que ses lubies soudaines traduisent l’esprit du psychopathe, celui qui enjoint à l’autre de se fondre dans sa volonté d’échapper à toute souffrance en infligeant aux autres la plus grande lorsqu’il pense que le fantasme va le submerger.

L’espèce d’errance dont il fait preuve semble dire qu’il s’agit là de son premier meurtre, qu’il avait certes à nul doute agressé des enfants auparavant, sans que survienne encore ce cataclysme de violence.

Ainsi, pourquoi Christian Ranucci aurait-il menti lorsqu’il expliquait au commissaire Alessandra – sans que celui-ci daigne retranscrire cette explication dans les procès-verbaux -, puis à ses avocats, qu’il s’était endormi et qu’il ne comprenait pas comment sa voiture avait pu se retrouver à cet endroit, au fond du tunnel.

Lesquels avocats le pressaient de dire qu’il avait peut-être aperçu une ombre, une silhouette, juste ce qui permettrait de bâtir quelque chose. Non Christian Ranucci disait être resté inconscient, qu’il n’avait aperçu personne sur la route…

Le dossier que les enquêteurs transmettent le 6 juin 1974 au juge d’instruction ne contient rien qui concerne la pièce à conviction n°1, saisie dans le tunnel, le chandail rouge

Pour réfuter le plus petit doute sur la culpabilité de Christian Ranucci, il convient de passer outre le fait qu’aucun des deux témoins de l’enlèvement ne l’a reconnu, qu’ils ont cité spontanément un autre modèle de voiture, une Simca 1100, que le ravisseur ne portait pas de lunettes et qu’il avait les cheveux bruns lorsque ceux de Christian Ranucci sont châtains, que le dessin de l’enlèvement est en vérité un décalque d’une photographie du cadastre… et conclure que le chandail rouge découvert dans la champignonnière n’a rien à voir avec l’affaire.

 

« En fait pour les policiers, il n’y pas de lien entre ce pullover et le meurtre…

Il n’y a aucun lien, c’est un vêtement qui a été laissé là peut-être par un ouvrier un jour, qui l’a oublié et quand il a vu que cela prenait cette ampleur, il ne voulait peut-être pas être soupçonné du meurtre…« 

Cette hypothèse recèle d’ores et déjà un contresens, car, d’une part le pull est propre et donc n’a pas séjourné dans le tunnel plus de quelques jours, et d’autre part, cette pièce à conviction ne prend justement aucune ampleur et se trouve remisée au plus profond de la procédure, si un ouvrier avait oublié son pull, celui-ci n’avait aucune raison de se manifester.

Toujours est-il qu’il ne s’est pas manifesté depuis, car effectivement, au vu des éléments dont on dispose aujourd’hui, il y a de grandes chances pour que cet homme soit alors accusé effectivement d’être le meurtrier de Marie-Dolorès Rambla…

C’est par le fait de Mme Mathon, la mère de Christian Ranucci et le mélange terrible du hasard que le pullover rouge a pris une toute autre ampleur, et sans doute suffit-il de reprendre ce qu’elle relata à Gilles Perrault (le pullover rouge) :

« Le jeudi 12 juin 1975, Héloïse Mathon fait la queue comme chaque jeudi à la porte de la prison des Baumettes. Il y a déjà plus d’un an que son fils a été arrêté et six mois se sont écoulés depuis la fin de l’instruction. Christian vit dans l’espoir qu’un supplément d’information finira par faire la lumière. Personne n’ose lui dire que le Parquet n’envisage absolument pas de rouvrir l’instruction. […]

«J’attendais mon tour, raconte Héloïse Mathon, mon numéro d’appel à la main, au milieu d’un grand nombre de personnes, et j’ai remarqué pas très loin de moi une petite femme brune d’une quarantaine d’années, très mince. Elle se plaignait du sort de son fils, qu’elle allait voir aux Baumettes, et de son propre sort. Quelqu’un lui a dit en me désignant : « Il y a plus à plaindre que vous… Regardez cette dame : son fils est accusé d’avoir tué une fillette. »

« Le jeudi suivant – c’était le 19 juin – j’étais de nouveau aux Baumettes et j’ai vu s’approcher de moi cette dame brune. Elle tenait dans les bras un bébé. J’ai su par la suite que c’était la fille de son fils et qu’elle venait la lui montrer au parloir. C’était elle qui s’en occupait, d’après ce que j’ai compris. Elle avait bien du mérite parce qu’elle avait déjà huit enfants, dont certains encore très jeunes.

« Elle ma dit: « Excusez-moi, Madame, mais on me dit que vous êtes la maman du garçon qui a été arrêté pour l’affaire de la petite Marie-Dolorès, l’an dernier… » Je lui ai répondu: « Oui, Madame, c’est bien moi. » Elle a eu l’air étonné. Elle m’a dit: « Je suis vraiment étonnée. Je croyais qu’on l’avait relâché depuis longtemps. Ce n’est pas lui qui a enlevé la petite. Je le sais parce que l’homme qui a fait le crime a essayé d’enlever ma fille Agnès. Je l’ai vu de mes propres yeux. C’est un homme qui a au moins trente ans. » Évidemment, j’ai été saisie. Mais juste à ce moment-là, on a appelé mon numéro et il a fallu se séparer. Elle m’a vite donné son adresse et elle m’a dit: « Encore mieux : attendez-moi après le parloir au café d’en face. Je vous expliquerai tout ça.»

« J’ai vite posé à Christian les questions habituelles: «Comment ça va ? As-tu reçu ton mandat ? L’avocat est-il venu ? » et je lui ai tout raconté. Je lui ai dit que je venais de parler à une femme qui était sûre de son innocence parce qu’elle avait vu l’homme qui avait enlevé la petite Marie-Dolorès, qu’elle m’attendrait à la sortie et qu’elle me donnerait tous les détails. Christian m’écoutait avec un grand sourire. C’était la quatrième fois qu’il me souriait en un an. Il avait tout à coup l’air heureux, détendu, il s’est écrié: « Enfin ! Enfin ce que j’attendais est arrivé ! Cette fois, Maman, c’est la fin de nos malheurs ! » Je l’ai quitté plein d’espoir, rajeuni, tel qu’il était avant.

« La dame m’attendait au café d’en face ; elle était en train de donner le biberon au bébé. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Mme Mattéi et qu’elle habitait la cité des Tilleuls, à Saint-Jérôme. C’est plus loin que la cité Sainte-Agnès mais dans la même direction. Ce qu’elle a vu, elle croyait bien que c’était le samedi 1er juin 1974, mais de toute façon la police avait dû noter toutes les dates. C’était l’après-midi. Elle mettait du linge à sécher dans sa salle de bain, qui donne sur le devant, et elle a vu un homme avec un pull-over rouge et un pantalon vert foncé qui avait garé sa voiture – une Simca 1100 grise – de l’autre côté de la haie de lauriers-roses qui sépare les bâtiments. Cet homme parlait avec un petit garçon de six ans, Alain Barraco. On a su après qu’il lui avait demandé d’appeler l’autre garçon avec qui il jouait. Mme Mattéi ne connaissait pas le nom de ce petit garçon parce qu’il habitait bien la cité, mais dans un bâtiment éloigné, et elle n’a pas pu le savoir parce que la famille a déménagé tout de suite après. En tout cas, il avait les cheveux frisés. Alain Barraco l’a donc appelé et le petit frisé s’est approché de l’homme, qui l’a pris par le bras et a essayé de l’attirer à l’intérieur de sa voiture. Le petit frisé a réussi à se dégager et il a couru en criant. L’homme a démarré aussi­tôt. Il est parti par une issue qui rejoint le chemin du Merlan. D’après Mme Mattéi, c’était la preuve qu’il connaissait bien les lieux parce que son bâtiment est le dernier de la cité, qui est très grande, et il faut être déjà venu pour savoir qu’on peut sortir par le fond. Mme Mattéi a eu le temps de voir qu’il y avait des jouets d’enfant sur la plage arrière de la voiture, surtout des animaux en peluche, et aussi un seau bleu avec sa pelle. Elle a aussi pu voir une partie de la plaque d’immatriculation, mais pas tout à cause de la haie. Il y avait un 8 et ça finissait par 54 comme numéro de département. L’homme était plutôt grand, avec des cheveux bruns un peu ondulés et coiffés en arrière. »

Or il apparaît que le chandail rouge dont parle Mme Mattéi est exactement semblable à celui qu’on a présenté à Mme Mathon : rouge écarlate, avec de gros boutons dorés sur l’épaule. Nonobstant les certitudes des enquêteurs, la coïncidence n’y trouve définitivement pas sa place :

« J’ai demandé à Mme Mattéi comment était le pull-over rouge de l’homme à la Simca 1100. Elle est allée chercher une petite nappe brodée pour me montrer la couleur et j’ai bien vu que c’était exactement le même rouge que le pull-over qu’on avait voulu me donner à l’Évêché. À mon avis, il a été tricoté en Espagne. C’est une laine un peu spéciale qu’on emploie assez bien là-bas. Mme Mattéi m’a dit aussi qu’elle avait rencontré à l’Évêché, le 4 juin, un certain M. Martin, gardien d’immeuble à la cité des Cerisiers, à Saint-Loup. Il était venu porter plainte avec des parents de la cité contre un homme qui avait eu de mauvais gestes sur des fillettes. »

Chapitre 44 – Christian Ranucci

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9 réflexions sur “43 Visages de l’homme au pullover rouge

  1. Bonjour, pourriez vous me préciser depuis quand l’homme au pullover rouge sévissait dans la région et s’il est réapparu après l’incarcération de Christian Ranucci ? Pour ma part je ne pense pas qu’un assassin soit monté dans la voiture de Christian Ranucci pour le piéger dans la champignonnière. C’était prendre beaucoup de risques pour rien : empreintes, témoins… Il aurait été plus simple de voler les clés de la Peugeot par exemple ou de souiller les sièges et le volant de sang, difficile à faire partir.
    D’autre part il est douteux que Christian Ranucci se soit évanoui parce que, juste après l’accident ses réflexes sont excellents.
    Dans la matinée du 3 juin, il va voir son père(?), puis part à la recherche d’un copain de régiment. Le ferait-il s’il était ivre ?

    1. Je ne sais pas depuis quand il sévissait non, mais personne ne le sait sauf à compiler les journaux de l’époque à la recherche d’autres faits divers de cette nature. Il n’allait pas réapparaître alors que l’arrestation de Christian Ranucci le couvrait totalement. Mais peut-être est-il réapparu plus tard, dans l’Isère…
      Cet homme qui monte dans la voiture de Christian Ranucci n’a pas l’intention de « piéger » Christian Ranucci, c’est effectivement comme vous le soulignez très bien une idée parfaitement idiote. Non, il monte dans la voiture pour la déplacer loin du cadavre et accessoirement pour se rendre à la champignonnière, là où il pourra se débarrasser des vêtements « inondés de sang ».
      Quant à Christian Ranucci, voici quelqu’un qui a beaucoup bu la nuit et qui – surtout – n’a pas dormi de la nuit. S’il provoque un accident, c’est que ses réflexes sont mauvais et s’il s’endort brutalement sur le bord de la nationale c’est qu’il est totalement exténué. D’autre part, le fait qu’il ait cherché un copain de régiment le matin est une invention policière, il part de Marseille le matin à 9 heures pour se rendre chez son père mais n’y redescend pas.

  2. Quel intérêt à déplacer la voiture ? Personne ne sait à ce moment qu’un enfant a été enlevé .
    Si Christian Ranucci a bu autant que vous l’affirmez et qu’il s’écroule de fatigue, il ne se réveillerait pas aussi dispo. Il sentirait encore l’alcool et les témoins l’auraient remarqué.
    D’autre part, il a demandé à sa mère de l’accompagner durant ce week-end. Elle a refusé. Il a alors demandé à Alain Rabineau qui a refusé. Il va voir son père qui le repousse à son tour ou qui est absent. Alors oui, je crois qu’il a tenté de voir un autre copain. Pour moi ce voyage n’est pas un voyage d’agrément mais l’errance d’un être proche de la déréliction. Il mange dans sa voiture, il dort dans sa voiture alors qu’il a de l’argent. Il s’enivre. Pourquoi ? C’est bien triste de boire seul. Car Christian me semble un être profondément solitaire et perturbé. A t-il cité le nom de ses amis ? Sauf erreur de ma part quels amis sont venus le défendre le jour du procès ?

    1. Je vous invite à lire les différents éléments de ce site, la réponse y figure. Quel intérêt à laisser son pull derrière un panneau ? Quel intérêt à enfoncer le couteau dans la tourbe en sortant du tunnel ? Quel intérêt à aborder Mme Mattéi pour lui dire « qu’il arrête » de tenter d’enlever des enfants ? Quel intérêt de ne pas mettre le corps de l’enfant dans le coffre de la simca 1100 et l’emmener loin comme a fait semble-t-il Nordahl Lelandais ?
      L’intérêt de déplacer la voiture, c’est qu’à l’endroit où elle se trouve, vu qu’il y a eu un accident et que deux témoins sont venus s’approcher en évoquant cet accident – M. et Mme Aubert – la voiture si proche du corps de l’enfant qui est caché maladroitement sous des branchages, c’est un signal qui mériterait de ne plus être présent. Comme cela, cela dissuadera les témoins de revenir et de s’aventurer dans la colline.
      Selon moi, vous n’avez pas une vue assez précise de la chronologie des événements et vous télescopez les différents moments de cette affaire. Effectivement à télescoper la veille au soir et le matin puis l’après-midi du jour du meurtre, cela devient du coup confus et aberrant par certains côtés.
      Christian Ranucci a bu le soir à Marseille, nous sommes le lendemain matin à 13 heures, il a tout de même eu le temps de dessaouler. Donc non à 13 heures il ne sent plus l’alcool et encore moins à 17h. Il se réveille à 17h après s’être effondré à 13 h, donc il dort quatre heures. Je ne vois pas ce qu’il y a de contradictoire là-dedans.
      Il va voir son père et vous faites la supposition que son père le repousserait, vous n’en savez rien. Il n’y a pas d’élément qui puissent corroborer cette affirmation. Une chose est à peu près sure : cela se passe mal, lorsqu’il est avec M. Raout, il grommelle : « je lui ferai payer ça et le reste » sous entendu ce qui s’est passé ce matin et l’errance de sa mère.
      Quelque part lorsque vous avez pris la décision d’aller voir un père que vous n’avez pas vu depuis 17 ans, alors que vous en avez 20, les choses sont extrêmement difficiles, donc il cherche à se dérober : si sa mère vient, il n’ira pas. Puis il essaie Rabineau – d’après ce que déclare Rabineau – ce serait peut-être une aide, pour se donner du courage. Hélas, il se retrouve seul et la seule solution qu’il a trouvé pour se rasséréner, c’est de faire la veille la tournée des bars du quartier de l’Opéra. Donc ce voyage a un but : revoir son père et il ne s’agit pas du tout d’errance. Il ne dort pas dans sa voiture, c’est une invention des policiers, il fait les bars. Donc il boit parce qu’il s’imagine que s’il est un peu pompette, ce sera plus facile d’aller à Allauch et de sonner à la maison du père. Mais un autre copain, il y a quoi dans le dossier là-dessus sinon les affirmations des policiers sorties de son carnet d’adresse qui lui font dire n’importe quoi. Et en plus ledit copain est à Paris et pourquoi ne pas tenter de le voir la veille à 20h00 puisqu’il est dans le quartier ? Ce que vous lancez est une hypothèse qui n’est pas corroborée par le dossier. Christian Ranucci solitaire et perturbé ? Au vu du nombre de copines et de relations, ce n’est pas vraiment le cas. C’est votre interprétation, Mme Colder a fait la même chose en plaquant le crime sur lui au lieu de partir de lui pour voir si cela collait ou pas. Et Christian Ranucci n’est pas Nordahl Lelandais. Le jour du procès, il y a des témoins pour tenter de lui rendre son vrai visage : des voisins, des amis, des amis de sa mère, mais on ne les a pas laissé parler parce que cela ne collait pas avec l’accusation. Je vous renvoie au livre Ranucci 20 ans après et les explications que donne Mme Mathon à ce propos.

  3. « Ranucci est capable du crime » ; « Il était malade, perturbé, perdu et déséquilibré mentalement. » Ce n’est pas moi qui dit cela, mais Alain Rabineau. Et il cite quelques exemples de comportements bizarres de Christian Ranucci.
    Les avocats avaient toutes possibilités de citer des témoins de la défense en plus de Mme Mattei, MM. Martel et Spinelli.
    Vous parlez des amis de Christian Ranucci mais vous ne citez pas de noms, ce qui pose problème.
    Personne ne connaît le degré d’état d’ébriété de Christian Ranucci.
    Je n’ai aucun a priori dans cette affaire et j’essaie de comprendre pourquoi un homme a été guillotiné. J’envisage en toute honnêteté tous les points de vue et j’essaie autant que possible de m’appuyer sur des faits.
    Ces faits me disent que Christian Ranucci était plus centré sur le principe de plaisir que le principe de réalité. Il exige que sa mère lui offre une voiture de luxe alors qu’elle n’en a pas les moyens. Lorsque la Peugeot est livrée, il ne peut attendre deux jours pour l’assurer. Maman paiera les dégâts en cas d’accident ?

    Son travail de représentant ne semble pas l’intéresser outre mesure puisqu’il songe à acheter un commerce mais il n’a pas d’argent.

    Durant son procès il calcule les indemnités qu’on lui devra, ce qui est pour le moins indécent à ce moment.
    Christian Ranucci n’est pas l’homme au pullover rouge, c’est certain.

    Je crois pourtant que c’est lui qui enlève l’enfant. Les vêtements, le signalement correspondent avec Rambla, Spinelli et Guazzone. Je pense qu’il a rencontré l’homme au pullover rouge le soir dans un bar et qu’ils ont échangé leur voiture pour brouiller les pistes. Cependant, arrivés à la champignonnière, l’enfant s’enfuit et se réfugie dans les taillis, d’où les traces de griffures sur ses jambes. L’agresseur la rattrape au moment où elle perd un sabot. On connaît la suite. L’homme au pullover rouge confie ses vêtements à Christian Ranucci pour qu’il s’en débarrasse sur la route de Nice. On comprend dès lors que Christian Ranucci soit pressé au point d’avoir un accident. On comprend son délit de fuite et son arrêt pour se débarrasser coûte que coûte de ce paquet. Il sait qu’il n’ira pas loin avec la carrosserie qui frotte sur le pneu et qu’il peut être contrôlé à tout moment. Les Aubert l’aperçoivent au moment de sa fuite dans les buissons et ils ne voient d’ailleurs que cela. Je ne puis pour ma part admettre que l’assassin fût précisément là au moment où les Aubert arrivent. La suite est connue et explicable : vêtements propres, pas d’empreintes de la fillette dans la voiture…

    Le pantalon bleu n’a rien à faire dans cette histoire, non plus que le couteau à cran d’arrêt. J’ai suivi avec intérêt les enquêtes de Denis Langlois et je n’ai aucune illusion sur les procédés de la police. Je ne m’étonne donc pas de la procédure. J’exprime ici ma conviction personnelle et elle n’engage que moi.

    1. Certes il n’y a peut-être pas d’a priori, mais un manque de connaissance des éléments de ce dossier qui conduisent à des raccourcis pour le moins spécieux. Christian Ranucci avait des amis, mais vous oubliez que le procès a consisté en un véritable lynchage et il suffit de relire le témoignage de Mme Mathon dans le livre « Ranucci vingt ans après » pour s’en convaincre.

      Il y a eu des témoins cités par la défense lors du procès, par exemple M. Gustin, il était tout le temps interrompu par le président, qui lui a dit : c’est fini ! avant qu’il n’ait pu développer le moindre argument.
      Il y avait aussi une maman des enfants que Mme Mathon gardait, mais dès qu’ils ouvraient la bouche on les rabrouait.

      Lorsque vous dites que Christian Ranucci était centré sur un principe de plaisir et non pas de réalité, c’est une interprétation qui est contredite par les faits : pendant six mois il a géré tout seul le Rio Bravo à Voiron, il avait 16 ans. Selon vous ce n’est pas un principe de réalité ?

      Il n’a jamais rien exigé, c’est sa mère qui lui propose l’acquisition d’une voiture et un coupé Peugeot n’est pas une Ferrari ou une Lamborghini, vous vous trompez d’adresse.

      Il fait une bêtise, il sort avec la voiture alors qu’elle n’est pas assurée, mais vous n’avez vous, jamais fait de bêtise de votre vie, c’est certain. En tous les cas, cela ne fait pas de lui un criminel.

      Vous confondez ensuite ses projets à court terme : avoir une autonomie financière et soulager sa mère qui se fatigue, d’où ce travail chez Cotto, des patrons qui semblaient satisfaits de lui, et ses projets à long terme d’établir un restaurant. Ayant géré celui de sa mère pendant six mois, ce n’était pas un rêve fou non plus.

      Quand il s’aperçoit que c’est l’accusation qui prend toute la place, que la défense est balayée par un procès totalement à charge et qui n’a d’autre objet que de soutenir une accusation mal ficelée, alors oui il s’enferme dans un rêve : on va lui rendre son honneur et réparer le mal qu’on lui a fait, c’est mal connaître la France et les Français, qui sont tout autant du côté de Pétain, de Laval, de Brinon, de Flandin que de Mendès-France ou de Jean Moulin.

      Ensuite vous formulez des hypothèses que je considère aberrantes : Vous pensez que c’est lui qui enlève l’enfant, libre à vous, vous pensez ce que vous voulez, cela n’engage que vous, mais la suite est édifiante : Vous dites que Christian Ranucci aurait rencontré l’homme au pull rouge la veille et qu’ils auraient échangé leur voiture ? Ah bon ? Pourquoi ? Ils auraient fomenté d’enlever une enfant à deux ? En parlant dans un bar en sirotant des whiskies ?

      Il aurait enlevé la gamine pour le compte de l’autre ? Hélas cela ne peut pas marcher, pour la simple raison que Christian Ranucci ne se trouve sur cette route que par un malheureux hasard, il aurait suffit que le heurt avec la voiture de M. Martinez ne provoque pas de tête à queue et Christian Ranucci s’enfuyait sur la route vers Nice.
      Donc s’il se trouve sur la RN8, c’est par hasard. S’il croise l’homme au pull rouge c’est par hasard. Donc ils ne pouvaient pas se connaître.

      Et quand Christian Ranucci dit qu’il n’a rien vu de lui, il ne ment pas. Condamné à mort : peut-on imaginer ne serait-ce qu’une seconde qu’il aurait tu le nom d’un éventuel complice ? Cela n’a décidément aucun sens.

      La voiture de Christian Ranucci n’arrive jamais à la champignonnière, sa voiture s’arrête là où les Aubert la découvrent à 1 km environ du carrefour, tout près de l’endroit où se trouve le corps de l’enfant et si l’enfant doit sortir de la voiture de Christian Ranucci, il ne va parcourir que 20 mètres sur un terrain qui n’est pas réellement broussailleux.

      La seule partie broussailleuse qui puisse expliquer les griffures sur les jambes, c’est la garrigue en face, du côté qui conduit au clos de la Doria.

      Prétendre que le couteau n’a rien à voir avec l’affaire, c’est quand même curieux, il est découvert sur un talus qui borde le bois à l’est du terre-plein sur quoi débouche le tunnel de la champignonnière, et ce ne peut être que sur les indications du chien pisteur qui a dû faire un détour en sortant du tunnel pour se déporter sur la gauche d’une cinquantaine de mètres. Et si le pull rouge se trouve au même endroit que la voiture de Christian Ranucci dans le tunnel, c’est bien que cet homme a emprunté la voiture de Christian, sinon ils n’auraient jamais pu se trouver au même endroit.

      Je vous conseille vivement de mieux vous informer sur le dossier, de ne pas essayer non plus de lui tordre le cou en tentant de faire croire que vos hypothèses peuvent passer outre ce qu’il implique.

      1. Je ne reviendrai pas sur l’interprétation du dossier. Vous connaissez à fond l’affaire et c’est la raison pour laquelle je me permets de vous poser quelques questions auxquelles malgré mes recherches je n ai pas trouvé de réponses.
        – En droit français, condamne t on une personne sur des certitudes ou des preuves ?
        – Les certitudes sont elles des preuves ?
        – Quand le médecin légiste a entrepris l’autopsie de l’enfant il n’a pas le couteau pour faire la comparaison :
        M. Vuillet : « Lorsque j’attaque l’autopsie de la fillette, le couteau n’a pas été trouvé pas plus que lorsque je la termine. Il m’était impossible de faire la comparaison. »

        – Pourquoi n’a-t-on pas apporté le couteau au légiste ? J’ai lu d’autre part que l’examen du couteau est indispensable pour prouver s’il s’agit ou non de l’arme du crime. Alors…

        – Pourquoi les avocats n’ont-ils pas exigé cette comparaison ? Pourquoi n’ont-ils pas remis en cause cette prétendue autopsie et demandé une contre expertise ?
        – Pourquoi le rhésus a-t-il été recherché (en vain) sur les taches infimes de la poche du pantalon et non sur celles plus nombreuses du devant ?

        – Les Aubert ont ils reconnu Christian Ranucci ensemble ou l’ont ils bien reconnu chacun séparément ?
        – Sauf erreur de ma part, il n y a pas de déposition de Mme Aubert dans laquelle elle affirme reconnaître Christian Ranucci dans l’homme qui a entraîné l’enfant dans les fourrés.

        – Mme Aubert 6 juin à l’Évêché : « j ai constaté qu’un homme« … « l’enfant était plaqué contre l’homme« … »L’homme a disparu. » Elle ne dit pas que cet homme était Christian Ranucci.

        – M. Aubert 6 juin à l’Évêché : « j’ai vu cet individu« , « Cet individu m’a alors répondu. » Il parle bien de Christian Ranucci qu’il voit près de lui. Mais pas sa femme. Curieux…

        – Vers 10H30, le 5 juin, la police suite à l’appel de M. Martinez téléphone à Mme Aubert. M. Aubert travaille et ce n’est qu’à la pause déjeuner qu’il prendra contact avec la police. Mme Aubert était-elle incapable de fournir les renseignements demandés ? Curieux… Il est vrai que « Unus testis nullus testis »!

        – Lors de la course poursuite à l’aller, les Aubert s’arrêtent près d’un véhicule gris qu ils identifient comme la voiture du fuyard. Pourquoi ne relèvent-ils pas le numéro à ce moment ? Pourquoi n’interpellent-ils pas à ce moment le fuyard qui est sous leurs yeux ? Ils partent tranquillement faire demi-tour quelques centaines de mètres plus loin. Ne craignent-ils pas que l’individu ne saute dans sa voiture et file à nouveau ? Ce n’est qu’au retour qu’ils s arrêtent, notent le numéro et interpellent l’homme qu’ils ne voient plus. Curieux…
        Deux questions annexes au risque de lasser votre patience

        – Pourquoi à votre avis Christian Ranucci ne s’est pas arrêté à la gendarmerie en retournant à Nice le soir du 3 juin sachant qu’il y avait de fortes chances que son numéro ait été relevé ? En avouant son délit de fuite, il pouvait espérer l’indulgence du tribunal.

        – Pourquoi ne laisse-t-il pas le moindre mot à sa mère au pied de l’échafaud en réponse à la lettre qu’elle lui a remis par l’intermédiaire de ses avocats ?

        Je vous remercie pour vos réponses.

        1. Si dans les pays anglo-saxon on condamne sur des preuves qui vont au-delà du « doute raisonnable », en France on condamne sur le principe de l’intime conviction (article 353 du code de procédure pénale) :

          Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :

           » La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :  » Avez-vous une intime conviction ? « . »

          Pour le silence et le recueillement dans le cas de l’affaire Ranucci, c’est un peu raté.

          On n’apporte pas le couteau au légiste parce qu’il me semble que l’autopsie se situe dans la soirée du 5 et que le couteau on ne le montre que le lendemain, même s’il est à peu près certain que ce sont les gendarmes qui l’ont trouvé le 5 par suite du détour effectué par le chien pisteur.

          Pourquoi les avocats n’ont pas fait leur travail ? Parce qu’en France il est interdit aux avocats de remettre en cause le travail de la police et que dès lors, ils ne pouvaient plus rien faire. Et le bâtonnier surveillait toute l’affaire. Je suis persuadé qu’il a interdit à Le Forsonney d’assister son client lors des convocations du juge d’instruction.

          Sur les Aubert, il n’y a pas de PV de reconnaissance sauf Aubert qui dit : c’est bien lui. Donc ça ne vaut rien. Point barre.

          La seule déposition acceptable faite par les Aubert est celle que recueillent les gendarmes, elle est claire, précise, nette : ils voient un paquet deux secondes, Aubert ne s’approche pas de la voiture de Christian Ranucci – il l’aurait fait, il aurait constaté que Christian Ranucci était endormi dans l’habitacle de la Peugeot. Ils ont appelé l’homme dans les fourrés, il n’a pas répondu – et pour cause, c’était l’assassin – ils ont fait demi-tour sur le petit terre-plein et ils sont repartis avec le numéro. C’est tout, le reste, ils sont subornés par les policiers, donc c’est un amas d’élucubrations incohérentes.

          Pour les Aubert, ne retenez rien des dépositions devant les policiers, ils ne s’approchent jamais de la voiture : Aubert est incapable de dire que les sièges de la Peugeot sont rouges, donc il a fait demi-tour à 100 m de la voiture de Christian Ranucci, il ne s’en est jamais approché.

          En cas d’accident de la route, les autorités ne se déplacent ni n’interviennent dès lors qu’il n’y a que des dégâts matériels. Ce qui était arrivé à Christian Ranucci ne regardait que les assurances. Si M. Martinez avait retrouvé Christian Ranucci comme il est bien probable, ils auraient fait un constat chacun et les assurances auraient établi qui était en tort et qui ne l’était pas et il en serait résulté un sérieux malus pour Christian Ranucci, mais c’est tout.

          Vous auriez fait quoi devant une lettre de votre mère sachant que deux minutes plus tard vous n’avez plus de tête au sens propre ? Je crois personnellement qu’il pensait à son père qui ne l’avait pas sauvé en venant dire aux autorités qu’il se trouvait chez lui le matin du crime de 9 heures à 11 heures. Son père était à proprement parler ce qu’on appelle un salaud.

          C’est triste mais c’est comme ça, c’est l’homme qui est une ordure, c’est sa nature.

          1. Je vous remercie infiniment pour tous vos éclaircissements. Encore une fois se vérifie la pensée désabusée de La Fontaine : »Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
            Il n y a rien dans ce dossier pour conduire un homme au supplice. Le meurtre d’une enfant est une chose horrible et je crois que Marie Dolorès aurait mérité un procès digne de ce nom.
            J’espère que la vérité se fera un jour .

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