Le propre des erreurs judiciaires, c’est qu’elles engendrent un éternel recommencement. On paraît les oublier et puis elles reviennent à notre conscience, lancinantes, inapaisées. Le temps n’a plus cours, on se remémore encore Lesurques, tout comme Calas, sans évoquer même le capitaine Dreyfus injustement dégradé dans la cour des Invalides. Les siècles peuvent passer, ils demeurent près de nos pensées, et l’accusation portée à tort forme une plaie vive sempiternelle. Nul besoin de poésie ou de chants, ils sont parmi nous, tous ces morts, bien mieux vivants parmi les vivants.

Rien n’a plus changé de la société française depuis les coutumes du roi ultra ou du roi bourgeois et de ce qu’en explicitait Stendhal : cacher l’hypocrisie sous la vertu des principes et se fonder sur leur vertu jusqu’à ce qu’ils en succombent. C’est bien là la forme la plus aboutie du système conservateur, masquer le mensonge sous le rappel des vertus républicaines quand celles-ci ne sont plus respectées, feindre de les respecter pour mieux les contourner.

La première forme qu’emploient les puissants, c’est le déni perpétuel, cette façon qu’on apprend dans les hautes écoles de renverser l’argument pour le noyer sous l’édredon des affirmations creuses, nier la vérité ou la réalité en supposant que le public est assez bête et que le mensonge permettra au moins de faire survivre une illusion.

L’ancien président Valéry Giscard d’Estaing ferait presque pitié, tant la méthode atteint là ses propres limites. Il tient à affirmer avec la plus parfaite mauvaise foi qu’il ne regrette rien de la mort de Christian Ranucci, il réaffirme même avoir connu ce dossier et s’être assuré de sa culpabilité. Cela lui coûterait-il si cher de reconnaître qu’aujourd’hui le doute s’est installé, de reconnaître que cette décision avait peut-être un sens à l’instant où il l’a prise, mais qu’il comprend qu’elle puisse désormais – avec le recul du temps – susciter de nos jours l’incompréhension ou l’interrogation ?

Cette manière de sceller dans une phrase la moindre interrogation révèle à elle seule le véritable visage du libéralisme de l’époque. Il n’est que d’apparence, il enveloppe sa véritable nature sous l’affabilité des expressions. Mais il ne parvient pas à cacher son inhumanité profonde, cette façon de nier la personnalité de l’autre, son existence, son droit à la vie.

M. Giscard d’Estaing a publié ses mémoires et s’apprête à les compléter. Imagine-t-on la force qu’elles prendraient si elles s’intitulaient : « le pouvoir et la mort » et non pas : « le pouvoir et la vie« .

C’est pourtant l’expérience qu’il en fit, puisqu’il vécut de près la mort de son prédécesseur, qu’il vécut à ce qu’il raconte la mort de Christian Ranucci comme une extase négative, pénétré en lui-même de l’assassinat qui se perpétrait à Marseille et dont il portait la responsabilité d’avoir laissé la justice suivre son cours, qu’il vécut tant de tragédies. Mais l’un de ses exégèses, Raymond Aron, a évoqué à l’époque le fait que c’était justement son drame de jeune homme, d’ignorer que l’Histoire est tragique.

Dans ses mémoires, il publiait le document signé de sa main par lequel il envoyait Christian Ranucci passer sa nuque sous le couteau de la guillotine. Il avait été jusqu’à effacer son nom. Alors je l’ai rétabli, puisque le souvenir de ce jeune homme perdure et s’impose à notre conscience, plus grand que le président qui le fit mourir, malgré toute tentative.

Ainsi il déclare ceci :

« Le mot regret n’est pas bon. Mais je ne regrette pas ma décision, hein. Parce que – enfin c’est mon opinion – à la lecture des dossiers, et je les ai regardés très en détail – très en détail ! – et des procès qui avaient eu lieu, il était coupable. Il était coupable d’avoir tué une petite fille d’immigrés espagnols ; du peuple espagnol français n’est ce pas. De l’avoir emmenée, tuée à coups de couteau, etc. Il était coupable, il était condamné, il devait être sanctionné. »

(Il est curieux de constater que Valéry Giscard d’Estaing souhaite se placer du côté des victimes, non pas parce qu’elles seraient victimes – comme si l’on pouvait se placer du côté des coupables -, mais parce qu’elles ne parlent pas. Ce qui ne veut rien dire et forme simplement une tentative maladroite de se justifier. Inconsciemment, il veut bien reconnaître que sa décision était inqualifiable et nous dire qu’il souhaite se placer du côté de celui qui est sa victime, presque enfant et sans défense devant le bourreau, or qui ne peut plus parler désormais, Christian Ranucci. Et par là même regagner l’idéal de sa propre innocence.)

 

Or à cette époque, on ne pouvait faire appel d’une condamnation en Cour d’assises, de procès, il n’y en eu qu’un et qui ne dura que deux jours. D’une certain manière veut-il bien reconnaître qu’il a pris sa décision au vu des procès qui ont eu lieu dans le secret des cabinets, des recommandations expresses de l’avocat général et du Président de la Cour d’assises Antona qui peaufinaient dans les dorures parisiennes les arguments d’user la machine, de ce qu’on lui a recommandé de faire sur le moment, non pas selon sa conscience mais au regard de l’état du dossier, comme il se fomente un crime de bureau. Christian Ranucci se confondait alors avec son dossier, au point de s’y évanouir tout à fait. Le Conseil supérieur de la Magistrature eut le bon ton de lui recommander de ne pas procéder à l’exécution, il passa outre et ne daigne nous en expliquer les raisons profondes.

Cette évocation d’un peuple espagnol français résonne comme la négation des principes de la République et l’enfant tout comme ses parents étaient avant tout citoyens français. Il semble que l’ancien président espère trouver une justification à ses actes par la soumission à une sorte de groupe de pression constitué d’immigrés espagnols dont on ne saisit pas non plus la consistance, ni même en quoi donner la mort pourrait y faire droit.

Cet entourage ministériel, les malsains Poniatowski ou Lecanuet, on les pressent très distinctement forcer sa main : « ne réfléchissez pas M. le Président, il y a la preuve du couteau, il reconnaît lui même que c’est son arme, la preuve du pantalon taché de sang qui se trouvait dans sa voiture, ne doutez pas et faites lui subir le châtiment qui vient clore enfin ses protestations d’innocence qui sont autant le moyen de narguer notre belle institution. »

Ainsi à tout le moins par cette phrase, veut-il bien avouer à demi-mot qu’un obscur conseiller issu de la Chancellerie a pu se jouer de lui et qu’il ne possède plus aujourd’hui que ce refuge de nous dire qu’il n’a pas gracié à entendre simplement ce que certains lui rapportaient sur le moment de ce dossier, sur quelque détail seulement : celui du pantalon, ou celui du couteau.

Comment pouvait-il imaginer à cet instant que cette décision lui ferait perdre les élections et la présidence quatre ans plus tard ?

L’on comprendrait moins ce qu’il énonce en conclusion : « Il était coupable, il était condamné, il devait être sanctionné. »

Pourtant aurait-il accordé sa grâce que Christian Ranucci eut été tout autant sanctionné, puisque la grâce commuait la peine de mort en réclusion à perpétuité. Ce n’est donc pas ce que l’ancien président cherche à nous faire comprendre. Ce qu’il laisse percevoir à cet instant, c’est que Christian Ranucci a été sectionné bien plutôt que sanctionné parce qu’il devait être coupable et qu’il avait été condamné pour cela. En refusant sa condamnation, en s’ingéniant à proclamer son innocence, il gênait. Et puis, il était seul, nul groupe d’intérêt pour soutenir sa cause, aucun peuple espagnol français, son père ne souhaitait pas le revoir, il n’avait que sa mère et ses amis. Que vaudrait d’ennuis un assassinat légal ? Pas grand chose, la veuve passerait à quatre heures du matin et on n’en parlerait plus.

Or, cette « sanction » qui relève d’une amputation pure et simple, provient de cette accoutumance au fantasme, ce que décrivait le marquis de Sade dans ses 120 jours de Sodome. Giscard nous laisse percevoir comment Christian Ranucci était devenu par la minutie de son étude, l’objet de son propre désir funèbre, qu’il lui fallait pour être rassasié d’un plaisir inaccessible, procéder à la torture la plus vile et la plus obscure sur son corps. N’avouait-il pas dans ses mémoires qu’il s’était efforcé, comme les héros du roman de Sade, imaginer l’exécution, son rite, et puis s’endormir dans son propre inconscient et dans la plus pure extase.

Tout d’un coup nous avons pénétré les arcanes du pouvoir, celles du pouvoir et de la mort. Les décisions se prennent non pas en égard à la vérité des choses, à la réalité des causes et des conséquences, mais aux apparences qu’il convient de préserver. Il fallait faire mourir Christian Ranucci pour préserver la culpabilité que l’institution judiciaire avait eu tant de mal à établir. Il fallait l’assassiner pour lui donner définitivement raison.

M. Giscard d’Estaing le sait si bien qu’il s’est permis de travestir la réalité. Il explique qu’à l’instant de prendre sa décision quant à la grâce de Christian Ranucci, il a reçu une lettre de Mme Rambla qui lui demandait de ne pas s’opposer à l’exécution de l’assassin de sa fille, sinon dit-elle, elle ne croirait plus jamais à la justice… Ce sont de mots simples juge le président, mais tellement forts, ce n’est pas un cri de vengeance pense-t-il. Pourtant vouloir la mort pour la mort, cela ne ressemble qu’à la vengeance, non pas à la justice.

Ce que M. Giscard d’Estaing se garde de dire, c’est qu’il a reçu plusieurs lettres de Christian Ranucci, personnellement adressées, lui demandant en mots plus simples encore d’être gracié, simplement parce qu’il est innocent. Le récapitulatif (le mémoire) notamment contenait les réfutations nécessaires qui laissaient parfaitement percevoir qu’un doute subsistait et qu’il convenait de s’abstenir d’user des formes barbares et définitives de l’exécution :

« Monsieur le Président de la République,

Je viens de vous adresser mon recours en grâce et celui-ci vous annonçant la réception prochaine d’un mémoire. Ce mémoire, que je soumets à votre haute Justice, contient les preuves de mon innocence.

Mais il est une lacune que je désire combler, il ne contient aucun renseignement me concernant ; aussi, afin que votre haute autorité soit éclairée totalement, voici en quelques lignes :

Je suis né le 6 avril 1954 à Avignon (Vaucluse), mes parents ont divorcé lorsque j’avais 3 ans et demi. J’ai toujours vécu avec ma mère, Mme MATHON Héloïse, née le 22 septembre 1922 à Avignon.

J’ai changé assez  souvent d’écoles et collèges (déménagements) ; mes études ne s’en sont pas trop ressenties, mais je n’ai qu’une instruction secondaire. Ma mère étant propriétaire d’un bar à Charenton, puis ensuite d’un bar-restaurant à Voiron (Isère) – le « Rio-Bravo », la Potinière (18500). Ce dernier fut créé en 1965 et après quelques déboires (travaux, employés pas satisfaisants), sa rentabilité s’améliora peu à peu. La dernière année, je l’ai tenu, secondé d’un cuisinier et d’une serveuse. Mais en 1971, ma mère dut le vendre et prendre une retraite anticipée cause santé. Nous nous installâmes dans un appartement neuf à Nice – 61 avenue des Terrasses de la Corniche fleurie. Vie heureuse, paisible et sans problème. Niveau de vie moyen, indépendant. J’ai fait mon Service National, par devancement d’appel, d’avril 1973 à fin mars 1974 au 8ème Génie Mécanique à Wittlich (R.F.A). De retour, j’ai cherché un emploi à Nice. Je fus engagé en mai 1974 par les établissements Cotto de Nice en qualité de représentant en matériel thermique (chaudières, convertisseurs, climatiseurs, etc.) Je comptais garder cet emploi quelques temps, puis prendre une gérance d’hôtel ou de bar ou même créer moi-même un petit snack. Mais les circonstances ne m’en ont pas laissé le loisir.

Il y a 25 mois, je venais d’avoir 20 ans, je fus arrêté, inculpé, déshonoré, emprisonné ; jeté au milieu d’une affaire aussi dramatique que sordide, accusé d’un crime dont je suis innocent.

Je suis innocent et, bien que ce ne soit pas à celui injustement accusé à apporter les preuves de sa bonne foi, par bonheur, je peux prouver que je suis innocent.

Ceux et celles qui me connaissent peuvent, même aujourd’hui – et ça, ça me tient chaud au cœur qu’ils me fassent confiance – apprécier l’océan d’impossibilité morale contre l’acte que l’on veut, à tout prix, me faire endosser, et moi.

Nos proches amis, connaissances mêmes, ne sont pas les seuls à avoir pu apprécier le grotesque de la chose, et si ce n’aient été de puissantes et étrangères considérations, l’on ne se serait pas entêté à se servir de moi.

Mais tout cela est trop compliqué pour que je vous soumette les détails, moi, ici.

Je suis innocent et c’est avec une confiance vraie, Monsieur le Président de la République, que je laisse à votre haut jugement mon avenir et mon honneur et ceux de mes proches.

Je vous prie, Monsieur le Président de la République, d’agréer mes salutations respectueuses.

Mr Christian RANUCCI, Maison d’Arrêt des Baumettes, 13009 Marseille« 

M. Giscard d’Estaing ne peut nier qu’il a reçu ces messages et qu’il a lu le récapitulatif rédigé par le condamné, tout aussi attentivement et très en détail, car il en attribue les mots qu’il contient à Maître Paul Lombard, de façon à nul doute erronée, faisant apparaître – en évoquant le couteau – que l’exécution de Christian Ranucci n’a finalement qu’un seul motif, le fait de sanctionner définitivement toute tentative de mettre en évidence les trucages du dossier que la police a osé commettre pour le faire tenir :

« Parfois l’argument utilisé me surprenait : c’était celui de la non-culpabilité, de l’innocence du condamné. Cet argument n’aurait pas dû s’adresser à moi, mais à la cour d’assises, car ma fonction ne me permettait pas de remettre en cause le fonctionnement de la justice. Je devais tenir son jugement pour normalement acquis. Seuls des éléments inconnus des jurés pouvaient, à la limite , être pris en compte. Mais les faits que l’avocat me citait avaient déjà été évoqués et discutés aux assises. Une fois même, j’ai eu le sentiment qu’un élément décisif [le couteau], qui avait fini par emporter la conviction des jurés [d’Aix-en-Provence], et que j’avais retrouvé longuement développé dans le dossier, n’était pas resté présent à l’esprit du défenseur, lorsqu’il était venu plaider devant moi l’erreur judiciaire et l’innocence du condamné.

Un jour, au moment où je reconduisais un avocat [Maître Paul Lombard] à la porte de mon bureau après l’avoir écouté, celui-ci m’a lancé comme un dernier argument :  » Mon client m’a chargé de vous dire que si vous le graciez, tout ce qu’il demandera, c’est qu’on lui remette deux cent mille francs. Il s’engage à partir en Amérique du Sud, et à ce que vous n’entendiez plus jamais parler de lui.« 

Que voulait dire cet absurde message ? De la part du condamné une dernière tentative, suggérée par l’affolement, pour se faire croire à lui-même qu’il pouvait encore détourner le sort en donnant consistance à un fantasme. Mais de la part de son défenseur [Maître Paul Lombard], pourquoi m’avoir transmis cette demande après être venu plaider l’innocence ? Je ne lui ai pas répondu. Je me suis senti glacé de crainte devant la manière, l’ultime manière dont son client [Christian Ranucci] était défendu. Et je me suis dit que je m’interdirais de tenir compte, au moment de ma réflexion finale, non du contenu de ce pauvre message, mais du fait même qu’il m’ait été transmis.« 

Et nous pourrions poursuivre par ces mots de conclusion que l’auteur s’est préservé d’écrire : « et j’ai donc permis qu’il soit assassiné« .

Au reste, le président Giscard souhaite lever, sans son accord, le secret de l’entretien qu’il eut avec Paul Lombard, mais se préserve d’en révéler l’entière teneur car si l’avocat de Christian Rannuci n’avait pas souhaité être accompagné de Maître Le Forsonney, c’est qu’il comptait à nul doute mettre en garde le chef de l’État solennellement dans la solitude absolue, en lui recommandant de mesurer les conséquences d’un geste irréparable lorsque le dossier révélait dès l’abord de si redoutables incongruités. Comme cet ancien président ne souhaite pas reconnaître qu’il n’a pas pris en compte ces vœux de prudence qui devaient être absolument limpides et terriblement menaçants, il déforme à nul doute les propos du défenseur du condamné.

Et nous mesurons le dédain et le mépris que le président Giscard a porté à cet avertissement qui gênait ses plans politiques du moment, au point d’attribuer par erreur à Maître Lombard ce qui en vérité figure dans le « récapitulatif » que Christian Ranucci lui adressa et dans lequel il disait s’engager, lorsque son innocence serait enfin proclamée, à quitter définitivement la France et s’installer en Amérique du sud avec l’indemnité que lui vaudrait cette reconnaissance. Il n’y eut jamais d’affolement de sa part, parce qu’il n’était pas coupable à nul doute et qu’il avait tourné ses forces dans une démonstration que son emprisonnement entravait. M. Giscard d’Estaing surprend par cette triste méprise et la pauvreté de son raisonnement, à confondre ce qu’est une grâce présidentielle avec une demande de révision, en s’attribuant à lui-même un pouvoir de révision qu’il ne détient pas, à penser que Maître Lombard aurait oublié de développer devant lui les doutes qui entouraient la saisie du couteau et la valeur de preuve du pantalon taché de sang.

Cependant, il révèle ce que furent les discussions du Conseil supérieur de la magistrature, et les arguments de Maître Lombard désignent que celui-ci connaissait à n’en pas douter les errements de l’enquête, qu’ainsi sa décision devait être l’onction non pas de la justice ou la droiture, mais celle des petits intérêts de l’institution. Il s’est dit en effet que la fonction du président ne devait pas permettre : « de remettre en cause le fonctionnement de la justice », que l’on devait désormais tenir le :  » jugement pour normalement acquis. Seuls des éléments inconnus des jurés pouvant, à la limite , être pris en compte. »

Ce qui revenait à admettre qu’il savait pertinemment que le jugement n’avait que les apparences d’avoir été normalement acquis, mais qu’en réalité, c’était bien tout le contraire et qu’il avait été acquis par des moyens que la loi et la morale réprouvent et qui tournaient le dos à la vérité.

Ainsi, quelque émanation du Parquet avait-il souligné que le jugement n’avait pas été normalement acquis, mais qu’il fallait faire comme si et qu’il ne pouvait être question de le réviser tandis que le Conseil supérieur de la magistrature en apercevait peut-être la monstruosité qu’avait dû souligner Paul Lombard en tête-à-tête.  Ainsi le sort de Christian Ranucci tenait au fait que son maintien en vie risquait d’occasionner la remise en cause de l’institution, qu’il demanderait plus tard des comptes, qu’il parviendrait à démontrer que les preuves étaient controuvées… Pour cette cause devait-il être exécuté. Et le président allait servir d’instrument subalterne à cette basse besogne.

La proposition de Christian Ranucci qu’il avait transmise par écrit au Président de jurer qu’il ne ferait plus entendre parler de lui au cas où l’on reconnaîtrait son innocence ne paraissait pas sérieuse à la Chancellerie, et c’est ce que M. Giscard d’Estaing signifiait en rapportant des propos attribués par méprise à Maître Paul Lombard – qui n’en avait sans doute pas parlé lui-même pour ne pas confondre ce qu’est une procédure de révision avec une grâce présidentielle, tout serait entrepris désormais pour que l’erreur judiciaire ne puisse pas apparaître, que l’on recouvre de cendre cette affaire miséreuse.

L’on se basait sur la découverte du couteau, sur le pantalon taché de sang. Or il faudrait se rendre plus tard à l’évidence, il est fort probable que la prétendue découverte du couteau, la prétendue découverte du pantalon dans le coffre s’avèrent preuves honteusement falsifiées…

« Il faudrait faire comprendre aux gens qu’ils se trouvent dans un pays qui a une justice capable, après quelques mois de pseudo-enquêtes, de condamner à mort un homme innocent. Et même si nous n’avons pas employé tous les arguments que nous avions, ceux que nous avons exposés auraient dû suffire à les convaincre. D’ailleurs même si je n’avais pas eu les preuves de mon innocence, s’il y avait eu, ne serait-ce qu’un doute, ils n’auraient pas dû condamner. Or, il y a les preuves irréfutables et ils ont condamné envers et contre tout. »

Christian Ranucci, 25 mars 1976

Chapitre 7

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8 réflexions sur “6 Les formes autocratiques du libéralisme avancé

  1. Erreur numéro 4 : la grâce présidentielle ne se transformait pas en condamnation à perpétuité, cette erreur est grave quant à ce qu’elle suppose. Demandez donc à M. Touvier par exemple… N’importe quoi
    Vous dénaturez totalement de façon générale le contexte de cette non-grâce. Ce n’est pas Giscard qui est responsable du sort de Christian Ranucci c’est Christian Ranucci lui même et s’il y avait lieu d’aller ailleurs, un jury populaire.

    Erreur numéro 5 : Christian Ranucci n’a envoyé qu’une seule lettre à Valéry Giscard d’Estaing, celle que vous reproduisez annexée de son récapitulatif…
    Le lecteur se demandera pourquoi vous ne le publiez pas… Les initiés savent que ce document est très gênant pour Christian Ranucci car il l’enfonce un peu plus…. J’espère que Giscard n’a pas perdu son temps à lire ce tissu de sornettes. À moins qu’il l’ait fait, ce qui a dû éliminer tout éventuel doute.

    Il n’y a de falsifications dans ce dossier que celles de gens comme vous qui apportent des éléments sans rien derrière. C’est facile de balancer que ce pantalon et ce couteau ont été introduits dolosivement. Faut il encore le montrer.

    1. Le président de la République avait le choix, soit de laisser la justice suivre son cours, ou bien de commuer la peine capitale en peine à perpétuité. C’est ce qu’il fait pour Keller et Horneich : Quatre ans plus tard, Keller et Horneich sont condamnés à mort. Mais au pied de l’échafaud, le président Giscard d’Estaing gracie les deux hommes. Leur peine devient la perpétuité. 25 années de prison plus tard, c’est la libération conditionnelle pour Horneich et Keller.
      Ils ont tout de même effectué 25 ans de prison.
      Donc je maintiens que la grâce commuait la peine capitale en peine de réclusion à perpétuité.
      Pour ce qui concerne M. Touvier, je ne vois aucun rapport. M. Touvier a été condamné par contumace à la peine capitale à la libération, s’est évadé, s’est caché durant des années et a été condamné à la fin de sa vie à la réclusion criminelle à la perpétuité. Il est décédé en prison. Donc il n’a jamais été question de grâce dans cette affaire, sinon celle que M. Pompidou lui a accordée en son temps pour des questions d’ordre civil puisque les condamnations allaient être prescrites.

      Le président Giscard est responsable de sa décision concernant la grâce ni plus ni moins. C’est une évidence. Donc il n’y a pas d’erreur n°4.

      Je me suis peut-être trompé concernant la lettre envoyée à M. Giscard d’Estaing – encore que Christian Ranucci annonce très clairement dans ce premier courrier qu’il va lui faire parvenir son mémoire et on ne comprend pas pourquoi il ne l’aurait pas fait -, je ne vois pas ce que cela change au fond. Je n’ai pas publié dans son intégralité le récapitulatif, parce qu’il est long tout simplement, il n’y a rien qui me gêne dedans, c’est un élément à prendre en compte, dans toutes ses composantes. Je vois un paradoxe dans ce que vous dites : vous dites tissu de sornettes. Un tissu de sornettes ne saurait l’enfoncer, s’il existe dans ce récapitulatif des révélations y compris allant dans le sens de la culpabilité, c’est qu’il ne s’agit pas d’un tissu de sornettes.
      Vous avez en tout cas de la chance, vous ne doutez jamais. Je vous envie.
      Je crois par ailleurs apporter suffisamment de pièces, d’explications pour qu’on ne puisse pas m’accuser d’apporter des éléments sans rien derrière, il suffit de lire. Il n’y a donc pas d’erreur n°5, ou bien elle ne change rien d’important.

  2. Bonjour,

    Sauver les apparences au détriment de la vérité et de la Justice. C’est cette impression que j’ai au sujet de l’affaire Ranucci, même si je n’ai pas d’intime conviction quant à son innocence ou sa culpabilité.

    Quelle que soit la vérité, la Justice a failli à un de ses devoirs les plus élémentaires: l’impartialité. Elle n’a pas cherché à creuser, à dénouer et à éclaircir les nombreuses incohérences de cette affaire, et cela est impardonnable. La vie d’un homme est de mon point de vue assez précieuse pour que l’on soit sûr à 100 % de sa culpabilité avant de lui couper la tête.

    Je ne sais pas ce que j’aurais fait à la place des jurés lors du procès. Ce qui est certain c’est que j’aurais été incapable de déclarer coupable un homme avec pour base un dossier ressemblant à un morceau de gruyère. Dans de telles circonstances, la grâce aurait dû être acceptée, tout en laissant l’accusé enfermé le temps de poursuivre l’enquête et de démêler les nœuds de l’affaire simplement pour être sûr, simplement pour être juste. Les réactions des personnes réclamant la mort de Ranucci à l’époque m’ont beaucoup choquée. J’avais l’impression d’assister à une scène provenant tout droit du Moyen-Age : des gens assoiffés de sang, ne connaissant rien à l’affaire ou presque, réclamant simplement une tête pour assouvir leurs fantasmes meurtriers inavoués, au nom d’une enfant qu’ils ne connaissaient même pas…

    Mais effectivement Ranucci ne représentait aucune cause sensible à défendre, alors à quoi bon le sauver… L’ironie dans tout cela est qu’il existe des accusés que le peuple s’est empressé de défendre (toujours dans le tourbillon de la passion et au détriment de la raison) et qui sont pourtant eux probablement coupables des faits qu’on leur reproche. (et vivants et libres pour certains!) Mais ceux-là devaient être défendus, au nom de la bienséance… Bref je m’égare.

    Je me demande comment une affaire telle que celle de Ranucci serait appréhendée de nos jours. Bien différemment je l’espère…

    Cordialement.

    1. Tout à fait Léa, j’ai bien connu cette époque, les médias sous contrôle de l’État, ont beaucoup contribué à condamner Christian Ranucci. Les radios libres étaient interdites, n’existaient pas.
      ça fait froid dans le dos.

      Ils avaient besoin d’un coupable ! il était là au mauvais endroit au mauvais moment ! Que s’est il réellement passé après ? Pour avoir abandonné la piste de l’homme à la Simca 1100, encore un mystère…
      Surtout que d’autres crimes aussi horribles sont toujours non élucidés.

      1. Les media n’ont pas changé et se comporteraient aujourd’hui de façon encore pire qu’à cette époque.
        S’ils ne sont plus sous la coupe directe du gouvernement, ils sont sous le contrôle de grands groupes financiers qui les font plier au respect absolu de l’institution.
        Les radios ne sont pas libres, elles déversent le même conformisme et la même déformation des faits qu’hier.
        Autrement dit les media d’aujourd’hui, c’ets la police chez vous tous les soirs.

        On cachera encore mieux qu’hier les dérapages de l’institution. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui on ne guillotine plus. Encore heureux.

    2. Il faut considérer cependant que les jurés ont eu une vision extrêmement partielle du dossier, que l’audience était faite pour masquer les incohérences de l’accusation et faire tenir les charges à n’importe quel prix.

      Elle n’avait d’ailleurs pas d’autre but.

      Les jurés ne pouvaient en aucun cas imaginer que les enquêteurs avaient truqué le dossier par quatre fois par quoi l’avocat général a pu proférer que tout était parfaitement limpide.

      Donc la question n’est pas tellement de savoir ce que nous aurions fait à la place des jurés, la question est celle de comprendre par quel mécanisme on peut maintenir un dossier dans cet état jusqu’à en parvenir à une résolution absolument irréversible et cause de tragédies futures.

  3. « Un jour, au moment où je reconduisais un avocat [Maître Paul Lombard] à la porte de mon bureau après l’avoir écouté, celui-ci m’a lancé comme un dernier argument :  « Mon client m’a chargé de vous dire que si vous le graciez, tout ce qu’il demandera, c’est qu’on lui remette deux cent mille francs. Il s’engage à partir en Amérique du Sud, et à ce que vous n’entendiez plus jamais parler de lui. » 

    Que voulait dire cet absurde message ? De la part du condamné une dernière tentative, suggérée par l’affolement, pour se faire croire à lui-même qu’il pouvait encore détourner le sort en donnant consistance à un fantasme. Mais de la part de son défenseur [Maître Paul Lombard], pourquoi m’avoir transmis cette demande après être venu plaider l’innocence ? Je ne lui ai pas répondu. Je me suis senti glacé de crainte devant la manière, l’ultime manière dont son client [Christian Ranucci] était défendu. Et je me suis dit que je m’interdirais de tenir compte, au moment de ma réflexion finale, non du contenu de ce pauvre message, mais du fait même qu’il m’ait été transmis. » 

    Voilà pour moi ce qui prouve que Maître Lombard le savait coupable. C’est lui, son avocat qui le condamne en disant ces propos.

    1. On ne peut pas imaginer que Maître Lombard ait transmis ce message et Valéry Giscard d’Estaing confond les paroles de l’avocat avec le récapitulatif qu’il a donc eu entre les mains. On ne peut pas imaginer que Maître Lombard ne lui ait pas rappelé que des ombres entouraient ce dossier et qu’il ne fallait rien faire d’irréparable.
      Ce qui est clair et net, c’est que Maître Lombard, Maître Le Forsonney savaient que le couteau avait été trouvé par les gendarmes avant l’arrestation de Christian Ranucci et que les policiers l’avaient replanté dans la tourbe – au mauvais endroit d’ailleurs – le lendemain, après les aveux afin de faire croire qu’il était découvert d’après lesdits aveux. Et il est certain que Maître Lombard a fait part de cela au Président Giscard d’Estaing. Donc ce dernier cherche à se dédouaner de ce qu’il sait être une ignominie de la police.

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