Une disposition, censée avoir pour visée de se conformer à une exigenceen vérité parfaitement imaginaire – de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme venait violer sans égard le principe constitutionnel de non rétroactivité de la loi pénale, réaffirmé par l’un des protocoles ratifiés par la France de cette même convention…

Voilà qui composait un bien sombre tableau de ce rapiéçage incertain que l’on nomme travail parlementaire, aussi convenait-il que cet aspect attentatoire aux libertés publiques de la loi autorisant l’appel du procureur général des acquittements fût dissimulé autant qu’il se pût.

Par malheur, survint le drame de Quévert… et l’institution judiciaire, prise au piège des contradictions de ses menées réactionnaires, allait bientôt s’enferrer d’elle-même.

Un attentat sans cause, sinon celle de détruire ce qu’il prétend représenter …

Le 19 avril 2000 à dix heures du matin, une jeune femme a perdu la vie dans une bourgade du Morbihan qui se dénomme Quévert.

Elle travaillait dans le restaurant à service rapide Maque-Donalde lorsque la bombe, posée près d’une guérite a explosé, le souffle ayant projeté son corps à l’extérieur. La police découvre lors de ses investigations que le système de mise à feu ne s’est pas amorcé comme il était prévu et se serait enclenché inopinément, lorsque Laurence Turbec a poussé la porte.

Aussitôt, les clameurs se projettent en toutes parts et l’on accuse l’Armée Révolutionnaire Bretonne d’en être l’auteur et, par-delà ce que l’on présente soudain comme sa vitrine, le mouvement autonomiste Emgann dont l’un des porte-parole vient de révéler sa force de conviction, Gaël Roblin.

D’attribuer l’attentat à l’ARB n’allait pourtant pas de soi, car il survenait de façon synchronisée avec l’incendie de la paillote corse dont il se découvrira dans peu de temps qu’il est l’œuvre  des gendarmes eux-mêmes, comme ils disent en avoir reçu l’ordre du préfet en personne.

Et puis la mise en œuvre ne correspond nullement aux techniques dont cette guérilla d’ombres a l’usage, les précautions que les artificiers prennent pour éviter toute effusion de sang – quitte à prévenir lorsque l’engin n’a pas explosé, ou même périr avec leur armement, comme en sa cible et nul ne sait pourquoi l’ARB s’en serait pris à une chaîne de restauration rapide aux consonances américaines et non pas aux symboles du pouvoir jacobin : une poste, une recette des impôts, une mairie, un relais de télévision.

Aussitôt l’on proclame de façon martiale que les auteurs de ce lâche attentat seront bientôt découverts et qu’un terrible châtiment les attend par l’instrument de la justice d’exception.

Or de toute époque les militants autonomistes demeurent placés sous surveillance rapprochée des renseignements généraux, et l’on pourrait supposer qu’il sera simple de confondre par ce moyen les poseurs de bombe dès lors qu’ils sont soigneusement répertoriés par la Direction de Surveillance du Territoire ou la Direction Nationale Antiterroriste. Cependant, s’il se produit quelques interpellations, elles ne donnent lieu à aucune mise en cause et nul communiqué de l’ARB vient à lui attribuer les faits comme elle en a revendiqué d’autres, qu’elle pourrait pourtant reconnaître une insigne maladresse d’exécution aux conséquences incalculables.

Elle prend à sa cause celui qui s’est produit à la perception de Morlaix, celui de Callac,  qui n’ont occasionné que des dégâts matériels, s’il ne s’agissait pas d’une simple tentative. Or l’attentat de Quévert ayant en vérité pour conclusion de déconsidérer toute velléité de séparatisme, il s’en déduit que les autonomistes n’en sont peut-être  pas les responsables.

Si l’on interpelle Gaël Roblin, c’est que l’on découvre qu’il est susceptible d’avoir transmis au présentateur d’émissions de télévision Karl Zéro, un message falsifié, prétendument signé de l’ARB démentant que cette organisation en soit commanditaire et suggérant cette supposition audacieuse que des explosifs ayant été dérobés à Plévin par l’organisation basque ETA, la DST est en Bretagne.

Le juge « antiterroriste » Gilbert Thiel instruit à charge et met en examen quelques personnes qu’il emprisonne en justifiant en quelque sorte d’un délit d’opinion dont il fustige l’extrémisme, les investigations touchant plusieurs attentats ayant été jointes en une seule procédure, ce qui laisse un peu mieux voiler le cruel manque de preuves et d’éléments attachés à l’action de Quévert.

Skoazell Vreizh

La solidarité bretonne n’est pas un vain mot, et l’organisation Skoazell Vreizh – Secours Breton, finance par le moyen des dons qu’elle reçoit les conseils des personnes mises en cause, dont l’un des plus éminents est Maître Gérard Tcholakian, avocat de Christian Georgeault.

Le procès de l’attentat de Quévert est ouvert quatre années après les faits, en 2004, devant la Cour d’assises spéciale de Paris qui juge des crimes terroristes. Et toutes les personnes mises en cause pour l’attentat de Quévert sont acquittées partiellement à ce titre le 26 mars.

À vrai dire, elles étaient accusées, au bout du compte de l’instruction impuissante du juge Thiel, d’être les complices des véritables auteurs, eux-mêmes inconnus. Et l’on ne sait d’ailleurs comment et par quel biais ou quel moyen la complicité se serait trouvée mise en œuvre.

Appel partiel des acquittements : OJNI pour Objet Judiciaire Non Identifié, usage contraire au principe de non rétroactivité des lois pénales

Or le parquet, tout à son désir de s’emparer de la nouvelle disposition rétroactive de mars 2002, fait appel des acquittements pour quatre des accusés, y renonçant pour les autres, incriminés pour d’autres attentats, lesquels avaient motivé une condamnation.

Les faits remontant à l’année 2000, c’est bien par effet rétroactif que le parquet fait appel. La Cour de cassation désigne alors, comme en dispose le code de procédure pénale, la cour d’appel d’assises spéciale et sa décision n’est susceptible d’aucun recours. Ce qui  revient à dire qu’elle estime, tout entaché qu’il soit, cet appel recevable.

Et c’est à cet instant que Maître Tcholakian met bas l’édifice en saisissant la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur deux points :

– l’appel partiel sur trois acquittements d’une décision de cour d’assises se révèle impraticable à considérer que la peine infligée recouvre d’autres faits que la cour d’assises d’appel ne serait pas en mesure d’inclure dans sa décision, rendant de fait le procès inéquitable,

 – l’usage rétroactif de l’appel des acquittements contrevient au protocole n°7 ratifié par la France par lequel est repris le principe de non rétroactivité des lois pénales.

L’appel des acquittements aggrave la situation de Christian Georgeault qui, sans cela, se serait trouvé acquitté définitivement pour trois attentats.

Peut-être s’agit-il d’une comédie finalement, que l’on donne au peuple de France pour tenter de lui faire croire que la vérité serait susceptible de se faire jour, et faire croire qu’aucune main invisible n’est venue interférer pour déconsidérer par des moyens de basse police les mouvements autonomistes de Bretagne…

Sur un sujet aussi grave, la cour d’appel spécialement composée pour juger des crimes à caractère terroriste ne saurait se permettre que la France soit censurée par la Cour Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme sans se couvrir d’opprobe, aussi prend-elle les devants et constate les deux choix qui lui sont offerts de provoquer l’irrecevabilité de l’appel du parquet des acquittements : le déclarer irrecevable pour cause d’usage rétroactif de la loi, ou bien pour cause d’être partiel.

Elle choisit le second moyen comme il est naturel, celui de l’objet judiciaire non identifié, l’appel partiel, celui qui garde de mettre au jour l’aspect le plus choquant, le plus inconvenant. Or donc le procès s’interrompt avant même que d’avoir commencé et le parquet tente de se pourvoir en cassation dans l’intérêt de la loi pour recouvrir le désordre par une conviction.

La requête du parquet ayant échoué, la requête devant la Cour européenne préparée par Maître Tcholakian se dépare de toute pertinence et sera retirée pour cette cause, avant même que d’avoir été examinée par les juges de Strasbourg.

Et ceux qui sont acquittés définitivement des faits commis à Quévert, de par l’absence de charges et par la grâce de l’irrecevabilité de l’appel partiel, ironisent sur ces procureurs imprévoyants et bricoleurs, l’esprit liberticide qui engendre leurs décisions malencontreuses et suscite finalement le chaos et la mélasse judiciaires…

« Je pense que c’est en tous cas une bonne claque, un bonne petite claque, une belle grosse claque même, dans le cadre d’une atmosphère très liberticide et très limitative des libertés contre tous ceux qui tentent de limiter les libertés, tel le juge Gilbert Thiel et ses acolytes de la galerie Saint-Éloi… »

Et ceux qui les défendent, tel Maître Yann Choucq, ironisent sur ces parlementaires et ces gouvernements impénitents qui distraient leur journée à dépailler en tous sens le code de procédure pénale pour en faire un absurde raccommodage d’intentions contradictoires et malheureuses.

« C’est tout le problème de ces réformes qui, sous le coup de l’actualité, de l’émotion, etc. consistent à rajouter des strates au Code de procédure pénale pour en faire un mille-feuille au point que personne à la fin n’y comprend plus rien. »

Or, pour ce qui concerne le trait rétroactif de la loi permettant au procureur général l’appel des acquittements sans condition de temps, il allait revenir à Daniel Massé, au dépend de la France et de ses institutions, de le faire apparaître…

« Il demande à l’officier de police judiciaire qui l’interroge sur des banalités : « Il semble qu’il s’est passé quelque chose de pas clair à Quévert ».

L’OPJ répond alors : « Ouvéa, c’était les gendarmes, donc l’armée, le Rainbow Warrior c’était la DGSE, donc l’armée, les Irlandais de Vincennes, c’était les Gendarmes, donc l’armée, les paillotes c’est les gendarmes, donc l’armée, nous sommes des officiers de police assermentés. La DST aussi, alors boucle la… »

Chapitre 40 – Christian Ranucci

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