Il pourrait advenir que l’administration judiciaire usât d’un principe par essence totalitaire, le temps.

Les rédacteurs de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme l’ont bien entendu qui ont inscrit le principe contraire au cœur de l’article 6, celui du délai raisonnable. Encore que la qualité de raisonnable du délai pour obtenir du juge une décision puisse s’interpréter sans fin, il demeure qu’il est désormais nécessaire que le délai le fût au regard du degré de complexité des affaires, des enquêtes et des expertises.

Parfois, quand l’institution est sujette à la vacillation du fait des circonstances, alors use-t-elle du pouvoir inverse et fait montre d’une précipitation d’autant plus étonnante qu’on aperçoit soudain que le temps qu’elle prend autrement par habitude en laissant les dossiers s’entasser n’a plus rien à voir avec le budget qu’on lui alloue, ou la nécessité de la quiétude ou des procédures, et soudain le théâtre se fait jour avec éclat. En calculant son temps, elle pourrait imprimer le poids de sa force, parfois au détriment de la vérité, elle qui fuit avec l’eau sous les ponts.

M. Daniel MASSÉ a pu le constater avec une grande surprise en obtenant en juin de l’année 2010 une décision de rejet d’une requête en révision de sa condamnation pénale dans le délai absolument unique et fabuleux d’un mois et vingt jours.

Désormais, ce délai pour rendre une pareille décision fera jurisprudence, comme tel il est devenu possible de demander des comptes à la Commission de révision dès lors qu’elle ferait attendre plus de six mois pour rendre ses avis. Que les condamnés soient maintenus détenus ou libérés, les délais viennent de se raccourcir comme par enchantement.

Cela ne provient pas d’une volonté d’amélioration, ni du hasard, mais de l’état de nécessité dans laquelle s’est trouvée la Commission de révision malgré elle, car M. Massé a eu l’audace, malgré qu’il n’ait pas d’avocat, de porter le rejet de la première requête devant la Cour Européenne à s’apercevoir que la décision des magistrats de la commission ne faisait état d’aucune motivation pour rejeter les deux faits nouveaux et les six éléments nouvellement révélés qu’il avait présentés, entre autres.

Aidé par son fils, il a de plus posé une question prioritaire de constitutionnalité, attendu que la loi sur les révisions autorise la Commission de révision à transgresser le respect de l’égalité des armes, le droit à une audience publique et qu’elle méconnaît tout droit à recours, ceux-là mêmes qui devraient être garantis en vertu des libertés fondamentales.

Lorsque cette loi a été adoptée à l’unanimité en 1989, toutes ces altérations indélicates n’ont nullement froissé les parlementaires, tout à l’ouvrage de remettre sans retour les clés des révisions des condamnations pénales à la Cour de cassation, ce qui démontre le peu de cas qu’ils portent parfois au respect de principes qui, pourtant, devraient les animer.

Prise au piège parce qu’elle devait répondre sans délai à cette question constitutionnelle qui la touchait de près, la Commission de révision s’est empressé de tout rejeter d’un même mouvement. Cela évitait aux dignes magistrats de croiser le regard des soutiens de M. Massé qui, de ce fait n’en étaient pas prévenus et ne pouvant s’y attendre, n’assistaient pas au rendu de la décision. Et puis cela permettait de ne pas répondre à la demande de suspension de la condamnation, ce qui aurait obligé à trouver des arguments parmi les charges du dossier, tandis que les requêtes les avaient toutes abattues méticuleusement.

Que de précipitation soudain, comme si la sérénité des sages en était soudain malmenée, troublée tout du moins et qui laisse poindre une sorte de bricolage de fortune pour faire tenir à toute force ce qui ne s’appuie en vérité sur rien de solide.

 

 

C’est l’une des premières notations que Gilles Perrault fit apparaître dans son livre le Pull-over rouge sur l’affaire Christian Ranucci, par infinie cruauté. Ce dont les jurés d’Aix-en-Provence n’avaient pu se rendre compte lors des deux jours de procès : la juge d’instruction Ilda Di Marino avait mené son enquête avec une célérité inhabituelle.

Dès lors que Christian Ranucci avait avoué s’être rendu à 11h le dimanche à la Cité Sainte-Agnès, avoir enlevé l’enfant et l’avoir conduite jusqu’au carrefour de la Pomme et, après avoir embouti une voiture vers midi, s’être arrêté pour l’emporter dans les fourrés et lui asséner quatorze coups de couteau avant de se réfugier dans une sorte de tunnel deux kilomètres plus bas, la cause était entendue.
Le Président Antona s’en était servi, il avait fait remarquer que Christian Ranucci ne s’était pas contenté d’avouer lors de sa garde-à-vue et de signaler notamment l’emplacement du couteau qu’on avait découvert après dans un tas de tourbe, mais qu’il avait réitéré ses aveux devant le juge aussitôt après (à la suite de vingt-quatre heures d’interrogatoire sans dormir…).
Le lendemain vendredi, tous dossiers cessants, le magistrat avait reçu Christian Ranucci dès le matin, et cette fois ignorait-elle le code de procédure pénale et ne lui demandait moins encore s’il ne préférait pas, vu la peine encourue – sa vie en jeu, être assisté cette fois d’un avocat.

Elle l’interrogeait sur le couteau particulièrement et pouvait déduire qu’il lui appartenait du fait même qu’il ait avoué l’avoir jeté dans le tas de tourbe tout près du tunnel où sa voiture s’était embourbée.

La précipitation allait guider la reconstitution pareillement, qui avait lieu après 15 jours, dans des conditions insensées, sans que ne fussent reconstituées les circonstances de l’enlèvement.

Cette précipitation n’est pas de bon aloi pour qui n’a pas bon esprit. Sur quoi cherche-t-on à glisser à pas de loup, ajouterait-on ?

Gilles Perrault soudain se plongeant au cœur du dossier, voici que de nombreuses pièces du puzzle ne voulaient plus s’emboîter. La belle construction des aveux venait à s’effondrer dans cette même précipitation.

Et comme le juge Burgaud, le magistrat enquêteur sermonnait avec véhémence et assurance, reprochant à Mme Mathon d’avoir élevé son fils dans la tolérance, sans le tenir.

Aujourd’hui, lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense de tout cela, elle se replie au téléphone m’a-t-on dit sur sa douceur intérieure et sa timidité retrouvée. Tout comme le juge Burgaud sommé de s’expliquer devant la commission d’enquête du Parlement, elle s’en tient au secret.

Il serait pourtant si simple de reconnaître qu’on a pu se tromper, être emporté par de fausses certitudes, mais cela n’appartient qu’aux sages, non pas aux juges semble-t-il. La précipitation vous dis-je.

 

 

 

 

« Si parfois, le soir, tu as un coup de cafard, fais des projets et garde courage en te disant bien que la justice existe quand même…

L’erreur capitale que j’ai commise, et elle est la base de tout, c’est ma naïveté et ma confiance envers les policiers quand ils m’ont dit : « Monsieur, c’est vous, nous avons des preuves et des témoins, c’est vous ! » Il s’est avéré que les preuves n’en étaient pas, et qu’en plus il y avait, non pas de preuves malheureusement, mais des indices de mon innocence…« 

Christian Ranucci, septembre 1974

 

 
Chapitre 10

 

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