9 Le trouble et la précipitation

 

 

Il pourrait advenir que l’administration judiciaire usât d’un principe par essence totalitaire, le temps.

Les rédacteurs de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme l’ont bien entendu qui ont inscrit le principe contraire au cœur de l’article 6, celui du délai raisonnable. Encore que la qualité de raisonnable du délai pour obtenir du juge une décision puisse s’interpréter sans fin, il demeure qu’il est désormais nécessaire que le délai le fût au regard du degré de complexité des affaires, des enquêtes et des expertises.
Lire la Suite

8 La façade impénétrable du procès

 

 

Une enquête devrait se construire patiemment, et reprendre patiemment les faits et les  témoignages pour qu’ils s’accolent harmonieusement les uns aux autres et que se forme la vérité la plus précise et la plus claire qu’il fût possible, que ne subsiste nul interstice entre chacune d’elles, selon même le point de vue où l’on se place.

Pour que Christian Ranucci fût condamné à la peine capitale, il fallait que les jurés aperçoivent pour modèle une sorte de pureté absolue, que toute part d’ombre se fût dissipée. Et sans doute ont-ils éprouvé cette sensation, le théâtre était de noir et de blanc, et rien ne pouvait y changer.

La vérité devait leur apparaître si simple, presque évidente. L’évidence passe par les aveux, parce qu’on imagine que c’est l’accusé lui-même qui les profère et qui s’accuse. On veut bien oublier que c’est l’officier de police judiciaire qui les dicte, qui choisit les mots.
Lire la Suite

6 Les formes autocratiques du libéralisme avancé

Le propre des erreurs judiciaires, c’est qu’elles engendrent un éternel recommencement. On paraît les oublier et puis elles reviennent à notre conscience, lancinantes, inapaisées. Le temps n’a plus cours, on se remémore encore Lesurques, tout comme Calas, sans évoquer même le capitaine Dreyfus injustement dégradé dans la cour des Invalides. Les siècles peuvent passer, ils demeurent près de nos pensées, et l’accusation portée à tort forme une plaie vive sempiternelle. Nul besoin de poésie ou de chants, ils sont parmi nous, tous ces morts, bien mieux vivants parmi les vivants.

Rien n’a plus changé de la société française depuis les coutumes du roi ultra ou du roi bourgeois et de ce qu’en explicitait Stendhal : cacher l’hypocrisie sous la vertu des principes et se fonder sur leur vertu jusqu’à ce qu’ils en succombent. C’est bien là la forme la plus aboutie du système conservateur, masquer le mensonge sous le rappel des vertus républicaines quand celles-ci ne sont plus respectées, feindre de les respecter pour mieux les contourner.

Lire la Suite

5 Transparence de la télévision

Internet crée un temps mythique qui s’enroule sur lui même et réitère la réapparition des souvenirs autant de fois qu’on le souhaite, tout comme le phonographe le fait avec la musique.

La télévision fomente l’oubli par sa transparence même. L’émoi suscité par l’exécution n’avait duré que le temps de l’annoncer, il s’était estompé et s’il demeurait comme une onde invisible, c’était pour indiquer que tout désormais s’était métamorphosé, une illusion de modernisme s’était dissipée et Raymond Barre avait remplacé l’impétueux Chirac. Voici un premier ministre conservateur jusqu’au bout des ongles, parfois même son conservatisme de docte professeur est teinté d’un peu de réaction, juste ce qu’il faut, qui tente par tous les moyens de juguler l’inflation en démunissant l’État de sa TVA. Le procédé n’a pas de sens, tout le monde s’en doute, mais le cautère permet de maintenir sauve l’apparence de l’amputé. Lire la Suite

2 Une image trompeuse

Rien n’est plus étonnant que de constater comment agit sur soi le prisme déformant de la presse et du journalisme. L’institution judiciaire n’a pas son pareil pour bâtir un théâtre où se mêle l’artifice et la vérité au point qu’on finirait par les confondre. La presse a ce défaut qu’elle se laisserait attirer par la splendeur des artifices quand la vérité ne semble pas sur le moment présentable. Et plus l’artifice paraît, plus le tourbillon s’enroule autour.

Lorsque survient l’affaire Ranucci, Giscard fête encore en juin 1974 ses nouveaux habits de président et passe encore pour un libéral qui abaissera bientôt l’âge de voter de 21 à 18 ans, instituera le divorce par consentement mutuel, le droit pour les femmes de disposer de leur corps et le droit pour les parlementaires de l’opposition de saisir le conseil constitutionnel. Lire la Suite