Il était loisible aux jurés de s’autoriser d’user de raison avant d’assassiner ce jeune homme de 22 ans. Ils s’en défendirent la pensée même, ce n’était que gens de passage, pris dans les habitudes et la formule ronde des idées reçues, la soumission aux institutions, la naïveté. Les vociférations qui leur parvenaient dans la salle des délibérations paraient à les contraindre dans le sens de l’incantation, non pas celle de la sagesse…

Un élément entre tous, qu’ils pouvaient pourtant apercevoir mettait bas l’édifice instable de l’accusation : dans la voiture de Christian Ranucci, il ne s’était découvert aucune trace de sang.  Et les enquêteurs avaient bien leur conviction sur la question car sinon se seraient ils dispensés de rendre une pièce à conviction d’une telle importance à la mère de l’inculpé le lendemain même des premières investigations, elle qui ne savait pas conduire.

Tant de flots de sang accompagnaient la rage barbare du meurtrier, s’il ne s’en trouvait pas dans l’habitacle du coupé Peugeot, c’est que celui-ci n’était pas monté à l’intérieur sitôt le crime commis, qu’il s’était bien écoulé une période de temps suffisamment longue pour lui laisser le temps de changer d’habits, à tout le moins.

L’accusation supposait que Christian Ranucci avait tué l’enfant à 12h30, qu’il avait recouvert le corps de branchages, qu’il avait glissé le couteau dans sa poche pour reprendre aussitôt sa voiture. Cela ne se pouvait pas.

Le meurtre s’était donc déroulé un long moment auparavant, et lorsqu’il avait pris la place du conducteur, l’homme au pull rouge s’était changé et le sang avait définitivement séché.

Il rejoint le tunnel de la champignonnière et le motif qui le pousse à agir ainsi apparaît finalement clairement : il connaît l’existence de ce tunnel et sait qu’il y trouvera un endroit où enfouir le mieux possible ses vêtements imbibés de sang, c’est la seule explication qui demeure au fait d’entreprendre ce curieux détour. On peut même penser que cet homme avait pour intention de continuer à conduire le coupé Peugeot pour rejoindre plus vite la Simca 1100, toujours dissimulée dans le chemin de la Doria.

On peut le déduire car sinon n’aurait-il pas pris cette peine de descendre la pente en marche arrière.

Ces vêtements bien sûr, on ne les a jamais retrouvés et suffit-il de concevoir qu’il s’est enfoncé plus profondément dans la galerie pour les déposer. Une pièce manque car s’il en était ainsi, peut-on concevoir que le chien pisteur en aurait-il suivi la trace ?

Le trajet que dessine le chien pisteur semble laisser entendre que cet homme est reparti une fois déposé le pull sous les portes contre le mur de la galerie. Peut-être aussi le chien a t-il pris parmi les pistes enchevêtrées, celle qui lui apparaissait la plus récente.

Cette incertitude ne se résout plus au vu des éléments que nous possédons, car dans cet esprit de tout abandonner sommairement, dans une sorte de précipitation à demi inconsciente, il est bien sûr qu’il cherchait tout aussi bien à dissimuler ses vêtements, comme il dissimulait le pull, le couteau.

Cependant il n’existe aucun trace de son geste de cacher le sac « assez volumineux » au profond du tunnel  qui demeure simple déduction.

Ainsi, s’il ne s’agissait pas de trouver une cachette pour enfouir les traces de son crime, l’on ne peut concevoir ce périple tortueux jusqu’au tunnel qu’à ressentir le reflet de son propre monde, dans lequel il recherche le cocon que son imaginaire poursuit où loger les fantasmes qui l’agressent, et qu’il lui a semblé opportun de les partager avec ce jeune homme dont il pouvait éprouver – les grands paranoïaques ont la prescience des fragilités des autres – le bouleversement qu’il venait de vivre à rencontrer un père qu’il ne connaissait pas.

Il est toujours possible de douter des causes qui motivèrent son geste de prendre la voiture des mains de Ranucci et de la conduire au fond d’un trou – avec cette offrande de la laisser dans le bon sens pour pouvoir repartir aisément, mais il est assuré que c’est bien ce qu’il fit.

La piste suivie par le chien

Ce qui en atteste, c’est qu’il laisse la voiture et reprend son chemin, à pied cette fois et remonte du tunnel, selon la piste que le chien suit. Certes, elle est ancienne, elle dépasse les cinquante heures, mais il n’a pas plu, le terrain reste idéal.

Or donc l’homme s’en retourne retrouver la nationale. On sait même qu’il a pris soin de refermer la barrière. Il longe la route en marchant dans le fossé.

Alors qu’il parvient jusqu’au lieu du crime, l’on s’est longuement interrogé pour déterminer la raison pour laquelle la piste ne retournait pas jusqu’au corps gisant dans les taillis.

Tout simplement faut-il en déduire qu’il n’est pas remonté, qu’il s’est détourné du crime et qu’il a poursuivi son chemin, trente mètres plus loin.

Et la trace disparaît.

Que la trace se coupe à cet endroit, il ne s’en transpose qu’une explication, une seule : l’homme au pull rouge a traversé la nationale. Bien sûr, les voitures sillonnant tout au long des heures, la piste s’est effacée. Il aurait suffit au maître-chien de traverser selon une trajectoire en biais, à nul doute l’animal aurait retrouvé la piste de l’autre côté.

S’il traverse, c’est un autre signe que la voiture se trouve de l’autre côté, la piste qui s’éteint au bord de la route désigne encore le chemin de la Doria comme le lieu où se trouvait la Simca 100.

L’homme l’a reprise, et il n’est plus reparu.

Ainsi donc, nous avions la possibilité de découvrir avec une précision inespérée, ce qui s’était passé ce jour là, le 3 juin, dans les bois de Peypin.

Nous pouvions témoigner de l’endroit où l’homme au pull rouge avait conduit sa voiture, témoigner de la façon dont la petite fille avait fait irruption hors de l’habitacle et s’était dissimulée dans les fourrés, d’où provenait les nombreuses griffures que l’on constatait sur ses jambes, témoigner de la façon dont cet homme l’avait pourchassée sur la route puis dans les taillis et, de rage d’avoir été trompé, l’avait tué par flot de violence.

Nous pouvions témoigner de la façon dont les Aubert avait aperçu le meurtrier furtivement, après qu’il se soit changé, de la façon dont il s’était pris pour déplacer la voiture de Christian Ranucci, venue s’arrêter à cette si  mauvaise place.

De la façon dont il s’était pris pour conduire celle-ci dans le tunnel, y laisser son pull, puis le sac aux vêtements tâchés de sang, et aussi le couteau, plongé dans la tourbe, puis pour remonter à pied jusqu’au chemin de la Doria – ce que matérialisait la piste suivie par le chien.

Christian Ranucci tentait de le clamer mais personne, pas même ses avocats, ne fut capable de l’entendre tout simplement.

« Et puis, à l’interrogatoire, je lui ai dit que, après l’accident, je me suis arrêté plus loin et évanoui dans la voiture pour ensuite me réveiller dans le tunnel où j’étais bloqué, et sans que je puisse m’expliquer ce « déplacement », même par l’abus d’alcool ou la fatigue ou la consommation de l’accident.
N’a t’il pas compris ce qui s’était passé ?
C’est-à-dire que le ravisseur, après avoir commis son forfait, s’est servi de ma voiture (nous reviendrons sur les raisons qui l’ont poussé à cela) et profitant de mon état inconscient, est allé l’embourber dans ce tunnel de la champignonnière.
(…) Il y avait que le ravisseur avait abandonné son pull-over rouge dans la champignonnière et aussi le couteau jeté au-dehors du tunnel. Il fallait qu’il y soit venu !
« 

Christian Ranucci Récapitulatif, mai 1976

 

Chapitre 43 – Christian Ranucci

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