Je me rappelle cet ouvrage, il y a longtemps dans la bibliothèque et cette couverture bleu d’outremer ornée d’un nom qui formait comme un cercle tournoyant dans mon esprit : Malataverne. Et je me souviens de la première scène qui relatait me semble-t-il un cambriolage la nuit. Un jeune homme hantait les lieux, presque invisible et sensible comme les chats…

J’en étais tout juste à ouvrir les portes de l’univers secret de Christian Ranucci et des causes de sa mort, quand d’autres images se sont reformées.

Je n’ai pas encore expliqué comment je suis devenu président du comité de soutien à Jean-Marc Deperrois, il est de ces étrangetés que la vie façonne. J’étais à cette époque comme le jeune cambrioleur de Malataverne, je visitais la Normandie que je connaissais si peu. Bernard Clavel s’était engagé, tout comme Jean-Pierre Vernant le grand helléniste et quelques autres, il avait donné son nom au Comité de soutien qui s’était formé le jour d’après la condamnation de Jean-Marc à 20 ans de réclusion. L’association comptait quelques milliers de membres cotisants. Je pense qu’en tant qu’écrivain, il avait été surpris aussitôt comme certains d’entre nous par l’absurdité du destin qui avait emporté M. Deperrois dans une prison qu’il ne méritait pas, indigné par ce que l’institution judiciaire révélait soudain d’elle-même et son incapacité de s’affranchir d’une dépendance aux puissances d’argent. Il convenait de cambrioler la vérité désormais pour la rétablir et arracher à la gangue des habitudes ce qui expliquait la mort d’une enfant empoisonnée.

C’est une façon d’entrouvrir la porte que d’évoquer juste quelques paroles échangées par téléphone. Je ne sais même plus les raisons pour lesquelles je l’avais contacté, mais je l’entends encore, à la suite des quelques explications que je tentais de lui fournir pour justifier l’enlisement des actions du comité, me rétorquer avec une certaine véhémence : « mais enfin, il serait temps de faire enfin toute la lumière !« 

Je ne pouvais pas lui répondre ce que je pensais au profond de moi, après deux ans à exercer cette fonction, bien sûr vous ne saurez rien et la vérité ne surgira plus. Il est inutile de l’attendre. Au contraire d’un livre, la dernière page devient tout à coup la première et l’esprit tourne sans cesse et sans trouver de terminaison. Je ne pouvais pas lui expliquer que les mensonges valaient peut-être mieux parfois que la vérité et qu’en tant que cambrioleurs, nous n’allions surtout pas allumer la lumière, qu’il convenait que cette enfant retourne à son tombeau avec les vêtements du mystère et cette grandeur idéelle que cette irrésolution lui donnait.

Oh bien sûr, j’étais président, mais je me devais de respecter les volontés du conseil d’administration et la bienséance de ma fonction qui consistait essentiellement à rappeler que l’innocence de Jean-Marc était une évidence radieuse, qu’elle ne supposait rien d’autre que sa proclamation calme, qu’il n’était pas dans nos intentions de chercher d’autres postures, que la vérité était de notre côté et la tromperie du côté des institutions. Au-delà de cette stature honorable, nous n’irions pas plus loin.

Bernard Clavel a disparu sans connaître le fin fond de la vérité, Jean-Marc est libre aujourd’hui, il n’a qu’un chemin dit-il, faire reconnaître son innocence. La gageure est sublime, il faut l’admettre sans rien savoir ou bien se taire. Nos chemins se sont séparés, mais le cambrioleur est toujours là, il hante encore nos propres maisons et ce nom tournoie toujours, nous sommes revenus à Malataverne.

 

 
Chapitre 10 – Jean-Marc Deperrois

 

 

Chapitre 4 (Christian Ranucci)

 

 

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