28 juillet 1976

La mort de Christian Ranucci est un signe, elle forme un lien entre deux époques. Nous ne le savions pas.

Elle fut comme un coup de tonnerre parce que l’on pensait jusque-là que le président Giscard respecterait une sorte de paix tacite qui l’éloignerait de la barbarie. Nous nous étions fortement trompé. Il était entouré de personnages fuligineux, que l’absence de toute pitié semblait l’onction de leur puissance, Ponia comme on l’appelait, le ministre de l’intérieur et Lecanuet à la justice – enfin devrait-on dire plus précisément à la tête de l’administration judiciaire.

Déjà à cet instant fallait-il défendre à toute force l’ordre de l’argent et comme toute croissance venait de s’éteindre, qu’il n’était plus temps de faire miroiter au travailleur le mirage de l’expansion auquel il se faisait une joie et un devoir de participer, il ne pouvait se partager que ce que l’on aurait soutiré aux salariés à force de chômage et de pression sur les salaires, tandis que l’inflation rongeait les revenus. L’on entretiendrait en gage la peur, en invoquant la peine de mort comme un rituel nécessaire à l’oubli de sa condition : se donner pour image le pouvoir de Dieu de donner et de reprendre la vie.

Faut-il imaginer ce que représente la guillotine, le mouton lesté d’une lame effilée soulevé tout en haut d’une glissière, le condamné qu’on attache avec de la ficelle d’emballage, pour désigner qu’il est désormais un objet avant que d’être un mort sans tête. La planche qui bascule et qui roule sous la lunette. Et puis l’aide bourreau qui tire sur la tête derrière les oreilles avant que la lame retombe. La tête une fois coupée est propulsée par la violence du choc contre les parois d’une cuve de métal dans laquelle elle rebondit comme un ballon, tandis que jaillit le sang comme un jet pur qui vient se projeter avec cette même violence et qu’on disperse aussitôt de la machine en lançant des seaux d’eau.

C’était notre France que l’on venait par ce geste de souiller irrémédiablement, non par le sang de Christian Ranucci mais par ceux qui avaient osé mener ce jeune homme à la guillotine, espérant détourner le regard d’une infinie injustice que vaudrait toutes ces années de chômage et de marasme.

Ranucci avait revêtu l’habit de tous les tueurs d’enfant qu’il pouvait exister sur terre, et par exutoire on l’avait assassiné. Une exécution est un crime dont la préméditation ne fait aucun doute, tant on l’entoure de rituels munificents.

Quelle arme avait-on déposé entre les mains des jurés ? Sans doute imaginent-ils la mort dans toute sa luminescence, ayant oublié combien elle est à son passage avilissante. Il sera venu plus tard le moment de faire le compte d’une malédiction qui s’est ainsi répandu. Pour l’instant, observons simplement que les journaux dans leur ensemble nous font part de leur assurance, et si l’on a osé actionner le bouton de la guillotine, c’est que Christian Ranucci est sans nul doute coupable des faits qu’on lui reproche. Simplement ajoute-t-on qu’il a importuné la cour d’assises de ses protestations d’innocence. Mais face à l’infaillibilité de l’institution judiciaire, que valent ses protestations ?
Rien sans doute…

(On remarquera l’imprécision et les erreurs du journaliste : – Ranucci aurait gardé la fillette deux jours ? Non elle est morte une heure ou deux après avoir été enlevée, Ranucci a avoué immédiatement ? Pas exactement, après 19 heures de garde-à-vue, etc.
Tout cela relève de l’amateurisme le plus pur mais l’essentiel est préservé : que l’on puisse croire qu’il est impossible de douter de sa culpabilité, donc de l’infaillibilité de l’acte judiciaire…)

(On remarquera cette fois que le crime n’avait pas de mobile « prétexte quelconque », qu’il est l’œuvre par conséquent d’un déséquilibré. Une fois encore, les événements sont présentés de sorte qu’on ne puisse avoir aucun doute sur la culpabilité de Christian Ranucci, et cette fois justifie-t-on son exécution par son attitude insensée : au lieu de coopérer comme le firent les accusés de Prague en 1953 en apprenant leur texte par cœur, il s’est évertué à nier perpétuellement…)

(Le présentateur semble laisser entendre qu’il y a maintenant deux victimes. Quant à la justification politique donnée par Jean Lecanuet, elle paraît vouloir clore toute interrogation, il suggère même qu’elle relève du manque d’humanité et que cela est dû aux circonstances, sans vraiment préciser lesquelles. Et quant à constituer un exemple, il s’avérera que le sang appelait le sang et l’on verra plus tard ce qu’il demeure de cette calme assurance…)

« Quelques personnes m’ont dit qu’innocent ou pas, j’aurais dû avouer, que j’aurais eu la vie sauve. Au procès aussi ils m’ont reproché de ne pas avoir avoué. Je ne pouvais quand même pas avouer si je n’ai rien fait. Je préfère mourir innocent que d’avouer un crime que je n’ai pas commis.
J’ai ma conscience pour moi. Mais tu sais, Maman, je suis fatigué. C’est trop injuste, depuis trop longtemps.
Je pense constamment à toi, au temps passé.
Baisers affectueux, Christian.
 »

(17 mars 1976).

Chapitre 5

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6 réflexions sur “4 Pater dimite illis, nesciunt enim quid faciunt

  1. Erreur numéro 3 :
    cf erreur numéro 1.
    C’est la France comme vous dites et pas les gens qui ont instruit le dossier Ranucci qui l’ont envoyé à la guillotine.

    Faire d’un débat sur la peine de mort la raison de son innocence, c’est être complètement à côté du sujet. Il aurait pu être condamné à une peine de perpétuité cela ne change rien à son dossier.
    Dont il est le PRINCIPAL artisan.

    1. Certes il a été condamné au nom du peuple français, mais enfin, il y a tout de même des responsables à ce désastre judiciaire, à différents niveaux. Le pire c’est qu’il y en a qui savaient pertinemment ce qu’ils faisaient. Paix à leur âme.

      Je ne mélange pas le débat sur la peine de mort et l’affaire Christian Ranucci, mais je suis bien obligé de constater qu’après la parution du livre de Gilles Perrault, il n’y a plus eu d’exécution capitale en France justement parce qu’on s’est demandé si Christian Ranucci était coupable et qu’on n’était plus sûr de rien. Le Royaume Uni a aboli la peine de mort en 1960 dans des conditions très comparables.
      Donc je ne vois pas où se situerait l’erreur. je n’ai pas la même opinion que vous, c’est tout.

  2. Je crois que mêlez deux choses : la culpabilité de Ranucci et la peine de mort qu’il a subie.
    Concernant la peine de mort, il est évident qu’il ne la méritait pas (immaturité psychologique, névrose familiale induite par la mère, l’absence de violence sexuelle faite à la fillette, le crime commis sous le coup de l’affolement, etc.).
    Les raisons de la condamner à perpétuité ne manquaient pas. Puis il y a le principe : étant personnellement contre la peine de mort et son rituel barbare, je considérais déjà à l’époque que, quelle que soit la nature du crime, on ne devait pas infliger la mort.
    Mais en ce qui concerne la question de la culpabilité, il est quasiment certain qu’il était coupable du crime. La construction romanesque de Perrault ne prouve absolument rien (on se demande comment tant de gens ont pu y adhérer) et elle est complètement loufoque (un assassin tapi dans les fourrés, utilisant l’arrivée de la voiture de Ranucci pour lui piquer son couteau, etc., tout cela n’a pas le sens commun.
    Ranucci avait avoué trois fois, il avait indiqué l’emplacement du couteau, dessiné le plan du lieu de l’enlèvement (il est resté une demi-heure à observer les enfants avant d’enlever Marie-Dolorès). Les preuves ne manquent pas, et accuser les flics d’avoir monté de toutes pièces ce scénario pour faire inculper un innocent est tout aussi loufoque.
    Les flics ne sont pas fous : ils peuvent éventuellement forcer la main sur un ou deux points, de là à construire entièrement un scénario accusatoire, il y a un gouffre.

    1. Ce site ne traite pas de la peine de mort en tant que telle, il traite des erreurs judiciaires.
      Vous jugez Christian Ranucci comme la malheureuse psychologue qui a rédigé son rapport en plaquant le crime sur Christian Ranucci au lieu d’analyser sa personnalité. Tout démontre l’inverse de l’immaturité dont vous parlez et il suffira au lecteur de se reporter aux citations tirées des lettres qu’il a écrites à sa mère pour se convaincre qu’il était tout sauf névrosé ou immature.

      Finalement tout est dans l’adverbe « quasiment », je vous laisse le jugement concernant les ouvrages de Gilles Perrault qui ne relève que de la pétition de principe et non pas d’une analyse. Pourtant, Gilles Perrault cite abondamment les PV, les articles de journaux, etc.
      L’hypothèse que vous réfutez « assassin tapi dans les fourrés piquant le couteau de Christian Ranucci » n’a jamais été émise par Gilles Perrault. Effectivement, le déroulé des événements laisse penser que la personne qui a enlevé Marie-Dolorès Rambla n’est pas Christian Ranucci et qu’il se trouvait donc sur le talus lorsque la voiture de M. Aubert s’est présentée sur les lieux, mais rien n’indique que le couteau ait pu appartenir à Christian Ranucci et l’on remarquera qu’aucune enquête à ce propos n’a été véritablement entreprise sur les conditions et les circonstances dans lesquelles il se le serait procuré.
      Que Christian Ranucci ait avoué, cela n’a strictement aucune valeur et le site le démonte amplement : les aveux sont un tissu d’âneries et d’incohérences, on ne peut strictement rien en retenir.
      Le plan du lieu de l’enlèvement est une copie d’une photographie du cadastre – à la recopie du muret près -, donc ce sont les policiers qui l’ont dessiné et qui l’ont présenté à Christian Ranucci – toujours sans avocat -.
      Le ravisseur n’est pas resté une demi-heure à observer les enfants, le témoignage de Jean Rambla sur ce point est dénué d’ambiguïté, il explique que la voiture est arrivée sur les lieux depuis la rocade du Jarret et s’est arrêtée près des enfants. Le ravisseur les a abordés presque aussitôt.
      Les preuves abondent ? Hélas non et c’est bien le problème, toutes celles qui sont présentées ont été « arrangées » par les enquêteurs : le pantalon a été saisi dans le garage et l’on a rendu la voiture à Mme Mathon pour la récupérer dans le garage et saisir le pantalon hors des regards (le PV de saisie indiquant qu’il était dans le coffre est un faux et même la Cour de cassation a été contrainte de le reconnaître), le couteau a été trouvé le 5 puis replanté le lendemain pour que l’on croie que les aveux étaient antérieurs à sa découverte alors qu’ils sont postérieurs.
      Les enquêteurs certes ne sont pas fous, comme le dossier ne tenait pas, ils ont « forcé la main » comme vous le dites si bien pour faire rentrer le triangle dans le rond.
      Il en est résulté un scénario qui ne tient pas : il est absolument impossible que Christian Ranucci ait assassiné l’enfant puis soit monté dans la voiture même dix minutes après : elle serait maculée de sang.
      Il est absolument impossible que la fillette soit sortie de la voiture à cet endroit, ses jambes sont couvertes de longues griffures, elle venait donc de la garrigue en face et donc la voiture du ravisseur ne se trouvait pas sur la RN8bis mais sur un chemin à l’abri des regards, comme on peut l’imaginer d’un ravisseur qui enlève une gamine pour la violer, il ne va pas se garer sur une nationale. Certainement pas.
      Donc le gouffre, il se trouve entre la version policière et la cohérence des faits tels que le dossier les établit.

    2. Hector14 vous qualifiez Christian de tout ce qu’il n’était pas.

      Psychologue et/ou psychiatre ont dressé le profil psychologique d’une personne qu’ils ne connaissaient pas.

      Considérons ces analyses psychiatriques comme un tissu d’absurdités.

      Vous ne semblez pas connaître le milieu médical et c’est navrant. Des études prouvent que des spécialistes et des experts se plantent dans 50% des cas, lorsque ceux-ci diagnostiquent certaines pathologies.

      Un exemple flagrant est le COVID 19, même après un diagnostic positif et plusieurs semaines de recherches, de nombreux scientifiques émettent une réserve sur l’efficacité d’un médicament qui serait sans risque pour les patients infectés.

      Cela va sans dire qu’une erreur de diagnostic est toujours possible ou qu’une recette médicamenteuse miracle trop vite acceptée serait validée avant d’avoir fait ses preuves.

      Dans l’affaire ici, les policiers à défaut d’avoir trouvé un assassin, ont fabriqué un coupable. Ils ne pouvaient pas se tromper d’individu. Les preuves sur la soi-disant personnalité d’un déséquilibré sont inexistantes.

      Les accusations des policiers sont verbeuses et trop faciles, pour qu’elles puissent être crédibles, notamment par le manque de la reconstitution des faits.

      L’instruction judiciaire avait intérêt à ce que les aveux soient corroborés afin d’éviter le scénario catastrophe. Concernant le pantalon, il ne peut pas prouver la culpabilité et le couteau automatique, s’il est l’arme du crime, cela ne fait aucun doute qu’il a été ajouté dans la liste des objets personnels de Christian.

  3. Sans vouloir juger personne, les erreurs judiciaires ne manquent pas !
    Combien de personnes chaque année sont mises en cause à la place d’une autre ? Les « culpabilistes » ont-ils cherché de leur côté l’homme au pullover rouge, ou démontré qu’il n’est qu’une invention imaginaire, qui reste dans l’ombre, sans que personne ne sache qui il est, ce qu’il fait, où il est ?

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