Il se conçoit deux manières de rendre la justice ; la première, celle du Roi Salomon, donne à  la sentence  la vertu d’élucider la vérité afin qu’elle déploie en elle-même la réparation, la seconde cherche à ériger tant et plus de reflets que la réalité puisse s’y évanouir.

Cependant, pour celui qui contemple le théâtre du verdict, les deux manières prennent semblable apparence et si peu permet d’entrevoir ce qui projette l’une dans sa lumière,  et referme l’autre dans son obscurité.

Pour estimer la partialité du juge, de même la valeur de ses arguments au regard de sa propre cause, on fait appel à un précepte anglais qui énonce qu’il ne suffit pas que la justice soit rendue,  qu’elle doit posséder l’apparence de l’avoir été. C’est dire que la vérité ne peut se contempler qu’au travers d’un double reflet, comme ces miroirs qu’on ne cesse d’orienter les uns par rapport aux autres pour saisir l’infime rai de lumière qui s’échappe au travers.

Ainsi, l’intime conviction du magistrat est cette opération qu’il effectue en lui-même pour arpenter chacune des facettes qu’on lui présente et saisir soudain dans la résonance des choses, ce qui fait l’âpre logique de la vérité et l’apaisement qu’elle procure d’être dite et entendue.

Or elle peut y manquer et le magistrat se contenter du simple reflet qu’il érige en talisman. Il se revêt de sa posture les déformations, les arrangements.

Les reflets à ce point démultipliés, M. K. ne discerne plus la cause raisonnable pour  laquelle l’administration judiciaire en fait un accusé. Seules demeurent apparents les entrelacs de la procédure, ce qu’elle décrète des choses qu’elle emmure dans son aura mortelle.

 

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Lorsque Jean-Marc DEPERROIS est incarcéré en 1997, sous l’incrimination d’avoir empoisonné une petite fille par erreur avec du cyanure, son image m’apparaît  diaphane. Je n’ y prête qu’une attention lointaine.  Puis, il survient que Maître Charles Libman s’est emparé du dossier, qu’il vient rappeler lors d’un entretien télévisé combien un innocent se défend toujours maladroitement pour être pris dans les règles inaccessibles d’un jeu qui ne le concerne pas.

Alors l’affaire de la Josacine empoisonnée s’entoure bientôt d’une singulière résonance.

Durant les trois années d’instruction, depuis 1994 jusqu’à 1997, rien n’a plus transparu. L’oubli faisait son œuvre et Jean-Marc Deperrois qui avait imaginé se trouver pris au piège juste le temps de quelques jours,  espérant sincèrement que le juge d’instruction conduirait les vérifications qui s’imposaient, avait dû se résoudre au fil du temps à changer de vie et s’habituer à l’enfermement.

Trois ans plus tard, l’annonce du procès a ravivé toutes les blessures d’un coup, et là soudain, le crime résonnait d’une ampleur inhabituelle, simplement parce qu’il nouait en son cœur de considérables intérêts d’argent, ceux des profits que générait la vente de la Josacine.

Le médicament suspecté assurait à son propriétaire, la firme Bellon, quarante pour cent de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices. Or Bellon constituait l’une des filiales du groupe multinational Rhône-Poulenc, soucieuse au plus haut point de la satisfaction de ses actionnaires.

L’institution judiciaire française pratique ce qui n’a cessé de se nommer justice de classe, elle est armée pour protéger les possédants, pour s’incliner devant les puissances économiques.

Et c’est pour satisfaire à ces intérêts précisément, que Jean-Marc Deperrois, tout innocent qu’il était du crime dont on l’accusait, allait se trouver impitoyablement et méticuleusement broyé.

 

 

 

Chapitre 16
 

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