Le 6 juin dans la matinée, les policiers sont entrés en possession de 5 scellés, dont le pull rouge, plus tard sans doute des deux moulages de roues. Et lorsqu’ils ont donné à essayer ce vêtement à Christian Ranucci, ils se sont aperçu qu’il n’était pas à sa taille et ne lui appartenait pas. Ce qu’ils ont entériné comme un fait établi.

Invoquons l’espace d’un instant cette hypothèse au prime abord inconcevable, que le couteau à cran d’arrêt, trouvé dans la tourbe amassée à l’entrée du tunnel ait été en leur possession et qu’il soit venu à leur réflexion l’intention de le présenter à Christian Ranucci. Celui-ci avait beau jeu de dire que le couteau lui était inconnu, tout comme le pull.

Par conséquence, en supposant cette hypothèse exacte, l’on comprendrait aussitôt la raison stratégique pour laquelle ils n’auraient pas fait part à Christian Ranucci de la présence de cet objet et se garderaient d’acter sa remise par les gendarmes. Il valait mieux le conduire à consentir des aveux et lui faire reconnaître qu’il avait sorti un couteau de sa poche, qu’il avait tué l’enfant avec et l’avait ensuite jeté. Ce n’est qu’après qu’on lui présenterait le couteau pour le confondre, ou même mieux, cela ne serait plus utile.

C’est ce qui se produit et Christian Ranucci vers 15 heures aurait avoué ceci, traduit par la rédaction de l’inspecteur :

« Le long de cette piste se trouve une espèce de place où est étalée de la tourbe. C’est à cet endroit que je me suis débarrassé du couteau. Je l’ai jeté à terre et j’ai donné un coup de pied dedans.« 

Aussi, dès que les aveux sont consignés, au vu de telles déclarations, la réaction de n’importe quel officier de police judiciaire serait de mander sans délai le magistrat instructeur afin d’obtenir une commission rogatoire pour le conduire aussitôt sur les lieux, inviter par ailleurs la juge d’instruction à s’y rendre, comme elle s’est déplacée la veille avec sa greffière pour assister sur les lieux du crime à la présentation du corps de l’enfant à son père.

Ainsi, sera-t-il à même de déterminer sans perdre de temps l’endroit où il a jeté le couteau et lui a donné un coup de pied dedans et tout sera simple et incontestable.

Trouver le couteau par radiotéléphone…

Le fil des événements est à l’opposé de ce déroulement simple : on appelle la gendarmerie et le capitaine Gras pour l’informer qu’il devra se servir d’un détecteur de métaux et qu’il devra le préparer et le régler pour la détection des couteaux. Mais l’on se demande d’où peut bien provenir cette idée d’utiliser un tel appareil car lorsque l’on jette un cran d’arrêt à terre et que l’on donne un coup de pied dedans, il reste immanquablement en surface. Les aveux ne disent pas : je l’ai soigneusement enfoncé dans la tourbe molle, ils semblent indiquer que le couteau traîne quelque part sous quelque buisson au bord du chemin.

À Gilles Perrault, le capitaine Gras donnera deux raisons au fait qu’il a pris la décision de se servir de la poêle à frire : outre celle des recommandations reçues des policiers, le fait que quelques temps auparavant, il y avait eu recours pour dénicher des douilles de carabine et confondre ainsi des malfaiteurs qui avaient répliqué par des tirs lors d’une tentative fortuite d’interpellation.

Or s’il s’agit d’une demande de la police, la raison pour laquelle une autre affaire aurait donné l’idée de s’embarrasser d’un détecteur de métaux n’apparaît pas du tout, et bien moins ce qui en serait à l’origine.

Parce que l’on ne peut trouver une explication rationnelle pour comprendre par quel enchaînement il a été entrepris de se servir d’un détecteur de métaux, la version des faits énoncée par la police qu’elle aurait requis auprès des gendarmes son utilisation à la suite des aveux de Christian Ranucci n’est pas vraisemblable.

Bien plutôt le capitaine Gras sans le vouloir a-t-il dévoilé les raisons pour lesquelles il avait pris le détecteur le 5, et bien qu’il s’en défende dans un courrier, dévoilé le fait qu’il l’aurait bel et bien utilisé lors de ses propres investigations puisque l’appareil était sous sa main comme en témoigne le procès-verbal, et l’enchaînement de son rapport le laisse bien présager :

« À 13 heures 15, (…) Une équipe est chargée de la mise en œuvre de l’appareil de détection électromagnétique. (…)

Plusieurs paragraphes plus bas, il écrit :

« C- LIEU DE DÉCOUVERTE DU COUTEAU :

– situation des lieux : Le lieu est situé en bordure du chemin conduisant à la champignonnière objet du paragraphe B ci-dessus et à 100 mètres de l’entrée. – description des lieux : Il s’agit d’un terre-plein recouvert de fumier en tas. Ce fumier en partie séché est assez dur. Sa répartition sur le sol ressemble à un croissant dont les deux branches se trouvent à l’est et à l’ouest et l’ouverture entre les extrémités au nord. Au centre de ce croissant une mare de purin stagne. Au-delà de la partie est de ce croissant, se trouvent de la broussaille, des arbres. La partie ouest du croissant est limitée par le chemin de terre conduisant à la champignonnière.

– relevé photographique : trois photographies sont prises, elles font l’objet du dépliant photographique N°3 joint au présent procès verbal.

– Recherches et découverte du couteau : le 6 juin 1974, suivant les instructions reçues , nous recherchons le couteau ayant servi à Ranucci pour perpétrer son crime.

À l’aide d’un appareil de détection électromagnétique nous décelons un objet métallique dans la partie nord-est de la partie est du tas de fumier. À cet endroit précis, le fumier est dur. Avec précaution et après avoir creusé sur 20 centimètres de profondeur, nous découvrons l’extrémité métallique arrière d’un manche de couteau dont la lame est rentrée dans ledit manche.

Ce couteau est fiché perpendiculairement par rapport au plan formé par la surface du tas de fumier.

Nous situons l’endroit à 18,20 mètres du mur [Il s’agit en réalité du coin] nord-est d’une construction en agglomérés et à 19,70 du coin sud-est [il s’agit en réalité du coin sud-ouest sur le schéma] alors que 10,75 mètres séparent ce couteau du prolongement du mur ouest de ladite construction. (voir croquis N°4 repère en « x »).« 

Il ressort bien de son expression que s’enchaîne la mise en œuvre de l’appareil avec son utilisation le même jour, soit le 5. De même, lorsque le capitaine Gras  passe le détecteur sur le fumier, il repère un « objet« ,  et l’on en déduit qu’il ne sait nullement de quelle nature d’objet il serait question. Il ne dit pas qu’il recherche un couteau précisément.

Aussi la phrase qui vient s’intercaler :  « – Recherches et découverte du couteau : le 6 juin 1974, suivant les instructions reçues , nous recherchons le couteau ayant servi à Ranucci pour perpétrer son crime.  » semble surajoutée et ne pas correspondre…

Car ce qui motive la découverte du couteau en réalité, c’est à nul doute le comportement et les flairs du chien pisteur…

Lorsque le chien mis en piste longe la tourbe dont la croute sèche au soleil mais la matière à l’intérieur reste humide, meuble et peut servir à enterrer des objets, il s’impose de passer le détecteur par au-dessus et d’en explorer le contenu.

Une interview donnée par un gendarme témoin des faits et rapportée dans le livre de Gérard Bouladou, « Affaire Ranucci, autopsie d’une imposture », semble confirmer que le couteau et le pull furent découverts le même jour, non pas le 6 juin donc, mais le 5, au point que le témoin en arrive à inverser même l’ordre dans lequel les deux objets furent découvert, le couteau et ensuite le pull :

« Mais tout ce que je peux dire, moi, c’est que, quand notre commandant de brigade est averti de se rendre à la champignonnière de Provence, car Ranucci avait dit qu’il avait caché le couteau dans un tas de tourbe, là, je peux vous dire que j’y étais. On a remué avec la poêle à frire… on a remué beaucoup de cochonneries en métal et on a trouvé à l’intérieur effectivement un couteau. Sur la lame, il y avait du sang. Pendant les recherches, à ce moment là, il y avait le commandant de la brigade de recherches d’Aubagne, l’adjudant Monnin. Donc on s’est mis à fouiller dans la galerie. Vous savez, c’était des galeries où plein de gens pénétraient. C’était une champignonnière. Il y avait une sorte de porte qui était posée et derrière cette porte, on a trouvé le pull-over rouge. Pour nous, c’était une saisie incidente.« 

« Nous, autour de l’endroit où l’on trouve le couteau, on est obligés de tout saisir. C’est la procédure.« 

En vérité, il semble bien plutôt que le couteau à cran d’arrêt trouvé dans la tourbe soit une saisie incidente au pull, et non l’opposé que suggère le gendarme, dans la mesure où le chien à dû dévier sa trajectoire, signalant l’endroit autour duquel il convenait d’intensifier les recherches et se servir de la sonde électromagnétique.

(La légende est celle du livre de Matthieu Fratacci « Qui a tué Christian Ranucci ?« , l’un des inspecteurs en charge de l’enquête. En vérité, la photographie a été réalisée dans les locaux de la Police judiciaire à Marseille – peut-être dans la matinée du 6 juin ?, ce dont témoigne la règle qui sert d’échelle.)

Et s’il se trouvait que l’homme qui portait ce pull rouge, qui remonte a pied et dont le chien suit la trace, était le véritable auteur du meurtre, alors il paraît tout naturel qu’il se soit débarrassé du couteau à cet instant, au moment de passer devant la tourbe.

La fiche attachée au scellé semble dater du 5 juin parce qu’elle sert de modèle au procès verbal de recollement des scellés rédigé le 6 juin à 17h30, qui mentionne le couteau pourtant déterré deux heures plus tard…

Ce n’est pas tant la date de la fiche signalétique qui s’attache au couteau à cran d’arrêt qui pose question – les gendarmes considèrent un procès-verbal comme un tout dont la date est celle de l’ouverture de l’information – effectivement le 5 juin, c’est le fait que cette fiche va servir de modèle.

Tandis que l’on a transmis au capitaine Gras les ordres de recherche, l’inspecteur Jules Porte se met à sa machine à écrire et entreprend de recoller tous les procès-verbaux listant les scellés, ou les scellés eux-mêmes portant leur étiquette, ce qui servira à transmettre l’ensemble au greffe du Tribunal de Grande Instance qui est chargé de les conserver.

Voici le Procès-verbal :

Il est 17h30, et l’inspecteur recopie la fiche du 8ème scellé – le couteau à cran d’arrêt – alors que celui-ci n’est censé apparaître qu’à 20h00.

On a tenté d’affirmer, et notamment, c’est ce qu’énonce la Commission de révision en 1991 pour rejeter la troisième requête en révision (la persévérance est louable…), qu’à constater qu’il figurait deux listes séparées, il convenait de se garder de conclusions hâtives, même si la première liste certes était à nul doute établie à 17h30, à constater que la signature était réitérée sous la première et sous la seconde, cette dernière énumération aurait été tapée à un autre moment, sans préciser lequel.

Mais ce n’est pas ce qu’énonce le Procès-verbal, et sans doute la Commission de révision éprouve-t-elle parfois quelque difficulté à expliciter la rédaction pourtant limpide des officiers de police judiciaire. La deuxième liste commence par ces mots : « De même suite ». Cela signifie, dans la foulée, au même moment, soit 17h30. Ainsi la deuxième liste est écrite à la suite de la première sans interruption entre deux.

Il faut se rendre dès lors à l’évidence et conclure que le couteau avec son étiquette, ou bien un procès-verbal le mentionnant et le décrivant dans des termes rigoureusement semblables, a bel et bien séjourné à la préfecture de police quelques heures avant même que d’être véritablement découvert. Serait-ce envoûtement ? En réalité, il apparaît maintenant la raison pour laquelle on aurait rajouté au crayon le chiffre 7 sur le procès-verbal établi par les gendarmes, cité plus haut – ce qui semble une habitude des policiers, non pas des gendarmes qui listent les pièces à la machine à écrire, il devait paraître succéder au procès-verbal n°610/5 relatant la découverte du couteau.  C’est donc bien ce document récapitulatif de 8 scellés qu’il tiendrait entre ses mains à 17h30, dans les locaux de l’Évêché.

Le détail est pour le moins insistant ; surtout à se remémorer l’aboutissement d’une telle découverte, lorsque l’on se souvient qu’à l’instant des réquisitions, l’avocat général Viala se gargarisait d’une « preuve parfaite« , qu’à l’instant d’envoyer Christian Ranucci aux fins de décoller son cou, Valérie Giscard d’Estaing insistait sur cet aspect irréfutable, à moins que ce ne soit celui du pantalon taché de sang, que les avocats ne remettaient pas en cause (ce qui n’est d’ailleurs pas exact…).

Les milieux autorisés ont tenté, effarés par les effets qui sont liés à l’analyse de cet écrit, de réfuter de plusieurs façons ce qui pourtant semble une terrible évidence :

En prétendant par exemple que l’inspecteur aurait retiré la liasse de papier de la machine et l’aurait réinsérée le lendemain, lors de la remise du couteau (mais alors pourquoi inscrire la date du 5 juin au bas du procès verbal et non pas celle du 6 ?).

Cependant tout démontre que le papier est resté dans la machine entre la rédaction de la première et de la seconde liste et qu’elles ont toutes les deux été tapées à 17h30. Si cela n’avait pas été le cas, alors aurait-on constaté les décalages de position et d’inclination qui en sont la conséquence (ce qui s’observe pour la mention « l’Inspecteur divisionnaire », dont le cran du déplacement du tambour est visiblement décalé, laquelle est rajoutée après rédaction de l’ensemble des deux listes). Or tout démontre que la seconde liste débute six crans de renvoi du tambour au-dessous de la première et que les intervalles et les inclinations  entre la première et la seconde partie sont rigoureusement identiques et collent parfaitement comme on peut en juger :

Cette providence a reçu une tentative d’explication, suggérant que l’inspecteur avait laissé le document inachevé sur la machine à écrire – ce qui ne se fait jamais – et qu’il avait pris par téléphone la dictée de la fiche de scellés qu’on venait de rédiger à Gréasque. L’explication est pour le moins rocambolesque car un inspecteur ayant l’expérience de 30 ans de carrière ne se distrait pas à prendre une description de scellé par téléphone et entamer la rédaction d’un PV de recollement de scellés sans détenir sous la main à proximité de sa machine à écrire la description des objets dûment répertoriée, d’autant qu’il a conscience que ces derniers ne seront remis au greffe du Tribunal que dans les quinze jours en suivant et qu’il n’y a donc aucune urgence.

Le cours des événements se déroule d’une étrange façon, l’ensorcellement semble irradier l’ensemble de l’affaire. Non seulement Christian Ranucci est placé entre les mains du juge d’instruction qui recueille des aveux – lui ayant fait renoncer au bénéfice d’un avocat… (et dans quel état se trouve l’inculpé après 24 heures sans dormir ? Cela ne peut se concevoir…) au lieu de le conduire sans retard sur les lieux pour indiquer de lui-même où se trouvait le couteau, mais l’on a conçu une fabuleuse mise-en-scène qui consiste à mettre le capitaine Gras en liaison avec la préfecture de police par radio-téléphone, les policiers étant censés le guider dans ses recherches.

On se demande bien ce qui motive un tel déploiement de moyens puisque le lieu est connu : un amas de tourbe situé non loin l’entrée de la champignonnière. Il est 17h30.

L’indicible mise en scène…

Ainsi demeure ce que Gilles Perrault rapporte dans le pullover rouge :

« Les recherches vont durer une heure cinquante-cinq. Presque deux heures pour découvrir le couteau dans un tas de fumier et avec une “ poêle à frire” exactement réglée. Le récit du capitaine Gras fait comprendre ce long délai: “ On a commencé par chercher dans les bois, tout autour. Là, c’était facile parce qu’il n’y avait en terre aucun objet métallique. On a remonté tout le long du chemin et on a fini par le tas de fumier. Là, il y avait toutes sortes de saloperies en métal, notamment des boîtes de conserve… ” À la bonne heure! Mais pourquoi n’avoir pas commencé par le tas de fumier? Pourquoi avoir perdu tant de temps dans les bois? On le comprend d’autant moins que les gendarmes sont en liaison par radiotéléphone avec l’Évêché. M. Guazzone, spectateur passionné, suit attentivement le dialogue: “ Alors, où il est exactement, ce couteau? ” – “ Cherchez par ici, cherchez par là… ”

(…)

« Le détecteur ne détecte rien. Plus exactement, il repère un bric-à-brac de ferrailles rouillées et de détritus métalliques où abondent les boîtes de conserve, mais point de couteau à cran d’arrêt. Le contremaître de la champignonnière, Henri Guazzone, assiste à l’opération et admire son organisation: le capitaine Gras est en liaison radiotéléphonique permanente avec le bureau du commissaire Alessandra à l’Évêché. “ Les gendarmes demandaient tout le temps des précisions, nous dira M. Guazzone: “ Où il est, ce couteau?” Là-bas, à Marseille, ça répondait: “ Cherchez par ici ”, “ Cherchez par là ”. Je finissais par croire qu’ils ne le trouveraient jamais…

Les abords broussailleux du chemin de terre ont été ratissés en vain. Il y a déjà plus d’une heure que le capitaine Gras et ses hommes ont commencé leurs recherches.

(…)

À sept heures vingt-cinq, c’est-à-dire une heure cinquante-cinq minutes après le déclenchement des recherches, le détecteur électromagnétique repère un nouvel objet métallique enfoui dans le tas de fumier. Le capitaine Gras brise la croûte dure qui s’est formée en surface et creuse avec précaution jusqu’à une vingtaine de centimètres. Il dégage ainsi l’extrémité d’un manche de couteau. Armé d’une pince, il extrait l’objet du fumier, non sans difficulté, et constate que la lame est rentrée. Il examine le manche à la loupe mais échoue à repérer la moindre empreinte, ce qui n’est pas surprenant car les empreintes éventuelles ont dû être effacées par sim­ple frottement lors de la pénétration de l’arme dans le fumier; l’humidité a pu également jouer son rôle. Le capitaine Gras actionne alors le mécanisme d’ouverture du cran d’arrêt. La lame jaillit. Elle est tachée de sang.« 

Une chose frappe immédiatement si l’on suit avec attention ce dont témoigne M. Guazzone, il apparaît bien que les policiers guident les recherches depuis la Préfecture de police, autrement surnommée l’Évêché, avec une insistance frappante. Or, si l’on s’en tient aux éléments qu’ils sont censés posséder, ils ne peuvent s’appuyer en tout et pour tout que sur cette seule indication, la phrase extraite des aveux, laquelle d’ailleurs par ce mot incongru de « piste« , laisse entendre que le couteau aurait bien quelque chose à voir avec celle suivie par le chien :

« Le long de cette piste se trouve une espèce de place où est étalée de la tourbe. C’est à cet endroit que je me suis débarrassé du couteau. Je l’ai jeté à terre et j’ai donné un coup de pied dedans.« 

Il apparaît bien que les aveux sont totalement inexacts : le couteau a été enfoncé verticalement avec le doigt, avec un bâton, avec la main, mais pas avec un coup de pied. Ou bien s’il s’est agi de l’enfoncer avec le pied, il a fallu que ce soit un geste doux et patient d’appui progressif, afin de ne pas percer la croûte au dessus…

Comment donc les policiers font-ils pour donner autant d’indications ? C’est là un mystère supplémentaire.

Enfin, l’on s’interroge sur ce qu’énonce le capitaine Gras qui cherchait durant un si long instant  dans les bois et sur le chemin, autrement dit, très loin de la place où la tourbe est répandue…

Dans Christian Ranucci, 20 ans après, Gilles Perrault précise les paroles de l’officier de gendarmerie :

« Le capitaine Gras me regarda avec une stupeur dépourvue d’aménité : « Est-ce que vous me prendriez par hasard pour un imbécile ? me demanda-t-il. Vous croyez vraiment que j’aurais perdu deux heures à traîner dans les bois si l’on m’avait dit que le couteau était dans le tas de fumier ? Pas du tout. Marseille m’a simplement dit : « Le crime a eu lieu dans le secteur et le couteau ne doit pas être loin : cherchez-le !« 

Le capitaine Gras modifie aujourd’hui sa version et précise que ce serait Christian Ranucci qui aurait indiqué l’emplacement à l’un de ses adjoints dépêché sur place chargé de le lui retransmettre, cependant cela ne se peut pas car à l’instant où les recherches débutent, le jeune homme se trouve entre les mains du docteur Vuillet pour être présenté au juge d’instruction avant d’être placé en détention :

À juger cependant du désarroi qui s’empare du capitaine Gras lorsqu’on lui pose quelques questions à ce propos, l’on peut se demander si lui-même ne se trouve pas dans la situation d’être contraint de taire un certain nombre de mauvais secrets, ainsi donne cette impression une partie de la réponse qu’il fît à Jean-Pascal Rappini :

Car le scénario qui se dessine est bien plutôt le suivant : si le couteau se trouvait à l’Évêché, en plein cœur de Marseille à 17h30, il faut compter le temps de le rapporter à Peypin.

S’il en est ainsi, tout s’éclaire, le capitaine Gras, qui a déjà extrait un couteau de la tourbe la veille et l’a remis aux policiers le matin avec les moulages de roues, a reçu l’injonction de retrouver l’arme du crime – un gendarme ne reçoit pas d’ordre de la police, l’opération est donc endossée par une autre institution et se déroule sous son égide – et de se placer pour cette seule cause sous les ordres exprès de la Police judiciaire de Marseille.

Cependant, à 17h30 lorsque les investigations commencent, visiblement le capitaine Gras n’est pas mis dans la confidence et pense peut-être qu’on lui demande de chercher autre chose que l’arme qu’il a trouvée la veille et comme il n’est pas question qu’il fouille près du tunnel, car le couteau ne se trouve pas encore en place, on lui demande tout d’abord de chercher près de l’endroit où le corps de l’enfant a été retrouvé, puis on le conduit à se déplacer et à se rapprocher peu à peu de la tourbe épandue. Il ne pourra d’ailleurs la rejoindre trop vite au risque de surprendre ce qui pourrait s’y passer.

L’on peut en déduire que l’Évêché ne donne l’indication de chercher du côté du tas de tourbe et de se diriger vers le terre-plein que lorsque tout est prêt, une fois les accessoires du décor mis en place. Et sans doute à cet instant, le capitaine Gras comprend qu’on lui fait chercher en réalité le couteau qu’il a découvert la veille…

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Le procès-verbal de la saisie du couteau le 6 juin, rédigé à 20h00 et qui indique que les recherches ont débuté à 17h30… Il a fallu deux heures pour parvenir à le dénicher.

Et par conséquence, une fois effectués les arrangements sur la scène du théâtre par quelque acteur en coulisse, le couteau miraculeusement se trouve de nouveau en place. Le malheur cependant réside dans le fait que la personne chargée de le repositionner n’a pas dû suivre comme il était convenu les prescriptions qu’on lui avait transmises.

Sur le croquis réalisé par les gendarmes, l’on constate que l’arme (une croix sur un rond grisé) se trouvait presque sous la haie à un endroit où la tourbe se trouve épandue sur une certaine longueur, formant l’autre branche du croissant et le chien policier s’est-il écarté du chemin venu du tunnel pour longer les buissons donnant signal d’user du détecteur de métal à cet endroit.

Plus avant cependant, au centre de la plateforme non loin de la cahute (A) s’étirait une part du tas de fumier (D) que Gilles Perrault décrit ainsi dans le pullover rouge :

« Le tas de tourbe où Ranucci a déclaré avoir enfoncé l’arme d’un coup de pied est en vérité un terre-plein recouvert de fumier durci au centre duquel stagne une petite mare de purin. Il se situe en bordure du chemin d’accès et à cent mètres de la galerie où s’est embourbé le coupé Peugeot.« 

La personne dépêchée sur place pour replanter le couteau n’a pas dû saisir la subtilité et s’est méprise sur l’emplacement, prenant au pied de la lettre le texte des aveux : « le long de cette piste se trouve une espèce de place où est étalée de la tourbe.« , tandis que le tas de tourbe s’étend jusqu’au pied du chemin menant au tunnel pour atteindre plus en arrière, l’autre côté du terre-plein.

Ainsi donc, le capitaine Gras, qui d’ailleurs pense peut-être toujours trouver une autre arme, a cependant cherché tout d’abord du côté est où le couteau se trouvait la veille, ne parvient plus à repérer le nouvel emplacement dont il ne sait rien sur une si grande étendue et faut-il qu’il reçoive minute par minute des indications de l’Évêché, sur le fait que l’arme serait ici ou là. Quitte à invoquer de nombreux objets en ferraille dont on peut difficilement concevoir la présence.

Ce schéma fait apparaître que les gendarmes ont découvert le couteau à l’emplacement symétriquement inverse de celui où Christian Ranucci le situe dans ses aveux. Le jeune homme précise que le couteau est enfoncé dans la tourbe du côté du chemin : « le long de la piste« , soit au nord-ouest, tandis que les gendarmes le situent au nord-est, à l’écart de la piste. L’on doit donc en conclure que Christian Ranucci ignorait l’emplacement où se trouvait le couteau et que celui-ci ne pouvait donc lui appartenir.

Chapitre 30

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