Le mardi 4 juin, l’enquête sur l’enlèvement de Marie-Dolorès Rambla se divise en deux, l’une se trouve être du ressort de la Police, l’autre relève de la compétence de la Gendarmerie :
Les lieux de l’enlèvement – cité Sainte Agnès à Marseille
Pour ce qui concerne l’enlèvement à Marseille, un garagiste, M. Spinelli, se présentera le 5 juin en informant les policiers qu’il a vu depuis sa porte – il était onze heures – la voiture du ravisseur garée 50 mètres plus bas, qu’il l’a identifiée en sa qualité de carrossier comme étant une simca 1100 grise (donc les témoignages concordent entre M. Spinelli et Jean Rambla). L’ homme a fait monter l’enfant dans le véhicule à l’avant, apparemment sans qu’elle ne fasse montre de réticence.
Les éléments recueillis par la police marseillaise sont donc les suivants :
- l’agresseur qui a enlevé Maria-Dolorès sévit depuis le vendredi 31 mai dans différentes cités de la ville ;
- il a l’accent des gens de Marseille ou bien au moins ceux du midi ;
- Il opère selon deux modes : l’agression directe dans un recoin, ou bien une tentative d’enlèvement en prétextant rechercher son chien noir… ;
- Le vendredi 31 mai et le samedi 1er juin, il portait un pull rouge avec des boutons dorés sur l’épaule ;
- Il conduit une simca 1100 immatriculée en Meurthe et Moselle ;
- C’est un habitué de ce genre de chasse. Il sait se tapir dans un coin près de la sortie, afin de se réserver tous moyens de fuite…
Les lieux de l’accident – Carrrefour de la Pomme – Peypin
L’enquête se divise car elle progresse en un autre endroit : le 3, au moment de l’enlèvement, est survenu vers 13 heures un accident au carrefour de la Pomme, dans les hauteurs au-dessus de la banlieue de Marseille. Et ce lieu se situe géographiquement dans le prolongement de la fuite de la voiture du ravisseur, en suivant d’un bout à l’autre la nationale 8bis devenue depuis D908…
M. Aubert assiste à l’accident provoqué par Christian Ranucci et s’arrête pour porter secours.
Cependant la victime de l’accrochage, M. Martinez et sa compagne qui ont pu apercevoir l’intérieur de la Peugeot 309 ont témoigné devant les gendarmes de Gréasque le 3 juin que le conducteur était apparemment seul à bord…
Outre qu’ils apprennent par M. Guazzone et M. Rahou, que le jeune homme a fait appel à eux dans l’après-midi du 3, car le Coupé 304 se trouvait embourbé dans une champignonnière, M. Martinez les rappelle le lendemain pour leur dire qu’à bien réfléchir, il n’était pas impossible qu’une enfant se soit trouvée à bord.
Les gendarmes contactent alors le témoin M. Alain Aubert le 4 par téléphone et l’invitent à expliquer ce qu’il a vu alors qu’il poursuivait la voiture en cause dans l’accident : au détour d’un virage dit-il après une poursuite d’un kilomètre environ, il a aperçu 100m plus loin une Peugeot 304 arrêtée au bord de la route, et a vu l’espace de quelques secondes un homme – qu’il a pris pour le conducteur – portant un paquet assez volumineux et s’enfuyant sur le talus.
Il arrête sa voiture sur le terre-plein. Il ne dit pas qu’il s’approche du véhicule, fait visiblement quelques pas vers lui. Il appelle la personne qui vient de se cacher, qu’il croit être le conducteur en lui rappelant qu’il ne s’agit que d’un accident matériel sans gravité et en lui demandant de revenir. Il ne reçoit aucune réponse. Il est donc confronté à une scène mystérieuse : aucun bruit. Il y a bien quelqu’un mais il se cache et ne dit mot… C’est inquiétant.
Or donc il prend note du numéro minéralogique du coupé Peugeot : 1369 SG 06, Alpes maritimes, fait demi-tour sur le terre-plein où il s’est arrêté plus haut, et s’en va transmettre ces informations à M. Martinez. Notons qu’il ne parle jamais à M. Martinez d’une quelconque enfant. L’on doit en conclure qu’à part un homme porteur d’un sac assez volumineux et une Peugeot mystérieusement arrêtée, il n’a rien vu d’autre.
Notons que, lorsque M. Martinez repasse sur la nationale, dix minutes, voire un quart d’heure après l’accident, la Peugeot ne s’y trouve plus.
Le mardi 4 juin au soir, les gendarmes dépêchent une estafette sur les lieux. Il faut comprendre le peu de moyens déployé ce soir là : ni M. Martinez, ni M. Aubert n’ont évoqué la présence d’une enfant qu’ils auraient aperçue, et rien ne concorde avec les données recueillies à Marseille :
- Enlèvement à Marseille : Simca 1100 immatriculé dans le 54 / Accident à la Pomme : Peugeot 304 immatriculée dans le 06 – le seul trait commun, elles sont gris métallisé toutes les deux.
- Les gendarmes ont dit à M. Guazzone qui insiste sur la présence du coupé Peugeot dans la champignonnière : arrête avec ta Peugeot, nous on cherche une Simca…
Sur la foi de ce que leur dit Martinez le lendemain matin : « contrairement à ce qu’il a rapporté le jour de l’accident, une petite fille pouvait se trouver dans le véhicule », les gendarmes décident d’organiser une battue en règle dès l’après-midi, tandis qu’ils font chercher le propriétaire de la Peugeot 304 : M. Christian Ranucci résidant à Nice.
Les policiers de l’Évêché sont bien entendu informés de ces développements, hors leur territoire d’intervention, mais ils peuvent en déduire une chose : ça ne colle pas bien. D’un côté, un ravisseur, un agresseur qui se trouve à Marseille et sévit depuis le 31 mai – on a six témoins des agressions et tentatives d’enlèvement -, de l’autre un conducteur qui réside à Nice, encore faut-il qu’il se soit trouvé à Marseille le vendredi… Sinon ça ne collera pas.
Il faut donc nourrir le dossier ; ce qu’ils entreprennent avec les Aubert : cessez de nous cacher la vérité, ce n’était pas un paquet, c’était une enfant que vous avez vu, n’est-ce pas ?… Or donc en insistant sur la valeur essentielle de leur témoignage, ils vont parvenir à les suborner, et modifier la teneur même de leur premier témoignage : ils ont constaté un terrible silence, pour le transformer en rencontre du troisième type avec une enfant pas effrayée et qu’ils voient disparaître sur le talus.
Sauf que le meurtre s’étant produit à 20 mètres, même les journalistes s’interrogent : comment se fait-il qu’ils prétendent maintenant avoir entendu la fillette dire à Christian Ranucci : qu’est-ce qu’on fait ? Et n’avoir entendu aucun cri ? Les aveux précisent pourtant parfaitement que le meurtre se situerait très peu de temps après que la fillette soit montée sur le talus et tout près d’eux, pas plus de 20 mètres…
Durant l’après-midi du 5, après 15 heures, on découvre le cadavre de Marie-Dolorès Rambla dans les fourrés, sous des branchages, au dessus exactement de l’emplacement où se trouvait la Peugeot. Il y aurait donc un rapport entre la Peugeot et l’enlèvement ?
Des témoins qui vivent et travaillent sur le territoire de la champignonnière ont croisé le jeune homme qui conduisait la Peugeot 304, alors embourbée dans la champignonnière, et rapportent qu’il leur a demandé de le sortir de là…. Ce jeune homme, vêtu d’un pantalon gris, était très calme et présentait bien.
Dans ce tunnel, on trouve derrière une planche un pullover rouge, avec des boutons dorés sur l’épaule. On fait flairer le pull par un chien pisteur et celui-ci, malgré le temps passé depuis les faits, s’accroche à une piste qui remonte vers la nationale. Il la suit pendant plus d’un kilomètre et demi.
Au sortir du tunnel, le chien a fait un détour et a dû traverser le champ pour gagner le tas de tourbe qui s’étend contre la haie, de l’autre côté du tunnel, en bordure de forêt. On passe donc la poêle à frire destinée à repérer les objets métalliques à cet endroit, et elle sonne. Les gendarmes le 5, comme nous l’avons vu, arrachent le couteau à cran d’arrêt que le meurtrier aurait enfoncé dans la tourbe.
Alors donc, si l’on se place du côté des enquêteurs : il y a bien un lien entre les enlèvements survenus depuis le 31 mai à Marseille et l’enlèvement de Marie-Dolorès, c’est le pull : le pull rouge à boutons dorés sur l’épaule.
Dans le dossier de procédure, des pièces absolument maîtresses ont disparu : notamment le PV qui atteste de la transmission de 2 scellés recueillis par les gendarmes le 5 aux policiers, les moulures de roue qu’ils ont effectué, ceci le soir même. Et s’il a disparu, c’est bien que le couteau figurait déjà dans la liste.
Comme nous l’avons fait remarquer, nous sommes en possession, en lieu et place, d’un PV récapitulatif des pièces établi par les gendarmes : une liste de scellés dont le numéro d’ordre de compilation a été ajouté à la main, semble-t-il postérieurement, pour le faire passer comme ayant été écrit après d’autres pièces, alors qu’il a été tapé vraisemblablement le 6 au matin. En effet, la machine à écrire utilisée est celle dont l’adjudant Monnin se servait le 5 juin, autre indice que le couteau a été déterré le 5. C’est un autre machine à écrire qui servira à établir le PV de découverte du couteau du 6 au soir…
Peu importe, celui qui conduisait la Peugeot 304 jusqu’au tunnel connaissait les lieux. C’est certain, on ne trouve pas le chemin de cette tanière si on ne la connaît pas préalablement. Or Christian Ranucci n’était jamais venu à Marseille auparavant, c’est donc que le meurtrier avait pris place dans la voiture, en le faisant basculer sur la banquette arrière, puisqu’il persistait dans son sommeil.
Et cela les policiers s’en rendent compte très vite, il suffit de se déplacer sur les lieux pour saisir que le tunnel est inaccessible à celui qui n’en connaît pas l’emplacement préalablement.
Pendant ce temps à Nice, on a donc arrêté le jeune conducteur de la Peugeot et on l’a interrogé. Le vendredi 31 mai, il travaillait aux établissements Cotto. Il ne pouvait donc se trouver à Marseille au même moment.
Je suis policier, je sais – et cela depuis que l’on a découvert le corps de la victime – que lorsque je vais lui présenter le pull rouge, il va dire qu’il n’est pas à lui, et il aura bien raison, puisque son emploi du temps lui interdisait d’être à Marseille.
Il se déduit que le ravisseur de Marie-Dolorès n’est pas et ne peut pas être Christian Ranucci. Car en tant que policier, je suis persuadé d’une chose : les six témoins vont reconnaître également le pull rouge comme celui qu’ils ont vu porté par l’agresseur : trop de choses concordent, même si je tente de maquiller sa description en prétendant confondre avec un polo ou en écrivant qu’il est de couleur bordeaux.
Alors le dilemme des enquêteurs est le suivant : ou bien je continue de chercher l’agresseur qui conduit la simca et j’abandonne la piste Christian Ranucci, ou alors l’on creuse pour voir jusqu’où l’on pourrait « faire coller » Christian Ranucci avec l’agresseur et on fait tout pour simplement obtenir des aveux et clore l’enquête pour ne pas faire surgir les contradictions, ceci en s’appuyant sur le fait que la Peugeot s’est trouvée au même endroit que la victime à 20 mètres près mais avec une heure et quart au moins de retard…
Comme dit le commissaire Cubaynes, dès lors qu’il reconnaît l’accident, le reste coule de source.
C’est bien là le problème, cela ne coule pas de source parce qu’il y a deux personnes différentes sur les lieux du crime :
- Le ravisseur, pour venir depuis la cité Sainte-Agnès en partant à 11 h, il faut une demi-heure. Il était donc sur les lieux à 11h30, avec une Simca qu’il a garé on ne sait où, mais pas à l’endroit du crime ;
- Christian Ranucci : l’accident se produit peu avant 13h ; il n’est donc sur les lieux qu’une heure et demi après. Si l’on en croit le témoignage de M. Aubert, vu qu’il n’y a aucun bruit et que le ravisseur ne répond pas, c’est que l’enfant est morte depuis un petit moment…
Donc cela ne coule pas de source et, même si l’on refuse d’admettre la coïncidence du fait que le conducteur du coupé 304 s’est retrouvé à cet endroit par accident – au sens propre -, si l’on veut confondre Christian Ranucci avec le ravisseur, il va falloir accomplir une belle acrobatie…
Les policiers se déplacent à Nice le soir du 5 même et prennent possession de Christian Ranucci au commissariat Giofreddo. La première chose que l’on veut voir, c’est la Peugeot accidentée. Et donc Christian Ranucci les conduit sous l’immeuble des Anémones ou se trouve le garage collectif et entreprennent de fouiller le véhicule. On lui demande les clés et on en saisit quatre : deux pour la voiture dont le coffre, la troisième clef ouvre l’appartement, la quatrième, le garage privé situé sous l’immeuble où il réside.
Qu’à cela ne tienne, les policiers ont visité ce garage privé, sans la présence pourtant indispensable de Christian Ranucci. Vous êtes policier ? Vous ne manquez pas de le faire, d’ailleurs même si vous n’aviez pas les commissions rogatoires pertinentes.
Et les policiers ne peuvent manquer d’y découvrir un pantalon bleu foncé taché de sang dans un recoin du garage. Il est là depuis un accident de vélomoteur fin avril, couvert par endroit de terre et de sang, Christian Ranucci ne le porte plus.
Orné de deux taches principales de sang au niveau des cuisses : le pantalon pourrait passer peut-être pour celui que le meurtrier portait au moment de tuer l’enfant. Car cette proie – Christian Ranucci – vu les pressions que l’Évêché subit, il n’est pas question pour les policiers de la lâcher, qu’il soit d’ailleurs coupable ou innocent, ce n’est pas le problème.
Le problème réside dans la vraisemblance de ce que l’on va concocter pour obtenir coûte que coûte des aveux. Sachant qu’il y a la guillotine au bout…
À suivre…