Pour démêler les sinuosités de l’enquête ayant conduit à la condamnation à mort de Christian Ranucci, il convient de ne garder un instant à l’esprit que le cheminement des enquêteurs, se poser de leur seul point de vue, n’éclairer que ce qu’ils découvrent au fur et à mesure de leurs investigations, ce qu’ils écartent, ce qu’ils faussent pour contourner l’impossible contradiction des pièces qu’ils tentent de rapprocher.
Les inqualifiables manquements de la défense trouvent leur source dans le fait que celle-ci se confrontait aux irrégularités de procédures et aux maquillages destinés à dissimuler les incohérences au travers desquelles se manifeste l’innocence de Christian Ranucci et la volonté de masquer l’identité du véritable tueur.
Il est un principe non écrit et qui s’inscrit dans la coutume française, bien au-dessus du respect de l’ordre constitutionnel : les avocats d’un mis en cause – sauf à se voir opposer la puissance de leur ordre et la menace d’une suspension – ne peuvent jamais remettre en cause une enquête conduite par les autorités. Confier la défense au bâtonnier et tout à la fois à un conseil débutant et inexpérimenté, c’était s’assurer que les trucages de l’enquête resteraient dans l’ombre.
Or donc il n’est toutefois pas courant que le bâtonnier s’institue comme défenseur. Le bâtonnier Chiappe n’avait d’autre rôle que d’assurer Maître Le Forsonney de n’être jamais mis en cause alors qu’il lui était fortement suggéré de ne pas être présent lors des convocations du juge d’instruction Di Marino, dès lors qu’il était question du couteau, du pantalon ou bien des témoins recrutés par petite annonce publiée dans Nice matin.
Il est absurde de constater qu’alors que son client risque sa tête, son défenseur est absent lors de trois convocations sur cinq – sans même prendre la peine de l’en informer (qu’en est-il du respect des principes essentiels de sa fonction ?) … C’est un signe majeur que les investigations ne se déroulent pas comme il conviendrait dans un pays qui se veut démocratique et respectueux des libertés publiques…
En suivant les enquêteurs, nous allons comprendre comment ils se sont vus contraints de truquer l’enquête 4 fois, puis enfin une cinquième, et comment ils ont conduit de cette façon un innocent de 22 ans sous le couteau de la guillotine…
Rappelons ces quatre trucages :
- 1 – le couteau à cran d’arrêt ayant servi lors du meurtre de Marie-Dolores Rambla est extrait de la tourbe le 5 juin à 15 h par les gendarmes avec un détecteur de métaux – ceci sur la base du fait que le chien pisteur a fait un détour par le fond du champ et s’est arrêté à cet endroit (le point gris ci-dessous),
- les enquêteurs de Marseille ont décidé visiblement de le replanter une seconde fois dans la tourbe le lendemain 6 juin – malheureusement pas au bon endroit, à l’entrée du tunnel et non pas au fond du champ – après avoir établi les aveux de Christian Ranucci, et de le faire rechercher une deuxième fois par le capitaine Gras : pour faire croire que la découverte du couteau résultait des aveux, alors qu’il était entre les mains des gendarmes dès avant son arrestation à Nice…
2 – Le pantalon tâché de sang se trouvait dans le garage privé de Mme Mathon situé sous l’immeuble des Floralies lorsque la voiture de Christian Ranucci a été saisie (saisie, elle, dans le garage commun de la cité) et transportée le 5 au soir par les policiers jusqu’à Marseille,
- le trucage a consisté à rendre la voiture à la mère de Christian Ranucci et la faire reconduire à Nice par un journaliste complaisant, M. Christian Chardon. Ce journaliste l’a placée dans le garage privé de Mme Mathon.
- c’est ainsi que les policiers ont pu venir rechercher à la dérobée ladite voiture deux jours après – voiture qu’ils n’auraient jamais rendue dans d’autres circonstances, celle-ci étant requise pour la reconstitution – en s’infiltrant dans le garage hors la vue de Mme Mathon – ayant saisi les clefs lors de la saisie de la voiture, superposant de manière contradictoire leurs pv avec ceux de la police niçoise, et en ont profité pour saisir secrètement le pantalon.
- Auparavant, ils avaient maquillé le PV de saisie des objets qui se trouvaient dans le coffre de la voiture pour y ajouter par fraude la mention du pantalon tâché de sang (dont le transcripteur, pour ne pas l’avoir sous les yeux, ne connaît sans doute pas la couleur exacte…), et faire ainsi accroire que c’est ce pantalon que Christian Ranucci portait lors du meurtre, l’ayant ensuite abandonné dans ledit coffre. Alors que la position et la forme des taches de sang ne correspondent nullement aux caractéristiques du meurtre et la rupture de la carotide.
- Il est désormais avéré que le meurtrier ne portait pas ce pantalon au moment des faits.
- 3 – Pour faire croire que Christian Ranucci connaissait le lieu de l’enlèvement, les enquêteurs ont photographié le plan cadastral de l’immeuble, puis ont réalisé un décalque de ce plan sur une feuille blanche, incluant le petit muret qui apparaît sur la reproduction du cadastre. Au millimètre près, la proportion de l’immeuble entre sa longueur et sa largeur est exacte !!!
- ils ont par la suite fait compléter ce plan par des mentions de la main de Christian Ranucci en lui dictant ce qu’il devait écrire, alors qu’en réalité, celui-ci n’a jamais mis les pieds à cet endroit et n’avait aucun motif de le faire. Le croquis prétendument réalisé par Christian Ranucci est de la main même des enquêteurs avec le cadastre pour modèle et n’atteste en rien de sa prétendue présence sur les lieux de l’enlèvement.
- 4 – Le témoignage des époux Aubert recueilli par téléphone le 4 par les gendarmes établit : que ces derniers se sont garés sur le terre-plein situé à 100 mètres de l’emplacement où se trouvait immobilisée la voiture de Christian Ranucci, au sortir du virage par lequel ils ont découvert le véhicule du fuyard. Ils disent avoir aperçu l’espace de quelques secondes un homme s’enfuyant sur le talus et portant un sac assez volumineux, homme qu’ils ont pris pour le conducteur. M. Aubert indique ensuite être descendu de sa voiture, et sans doute a-t-il fait quelques pas en direction de la Peugeot. Il déclare avoir demandé à l’individu de revenir, appuyant que l’accident n’avait fait que des dégâts matériels… Ce mystérieux individu n’a fait aucune réponse et n’est pas réapparu.
- Sans doute pris par le silence des lieux et l’aspect inquiétant de la scène, il est remonté dans sa voiture et a fait demi-tour sur le terre-plein même après avoir noté le numéro d’immatriculation de la Peugeot 304 pour le communiquer à M. Martinez.
- C’est donc par subornation des policiers qu’ils ont affirmé par la suite avoir aperçu Christian Ranucci donnant la main à une fillette qui n’était pas inquiète (ce qui n’a pas de sens après l’accident), l’avoir vu suivre Christian Ranucci dans les taillis de son plein gré (sic). Et indiquer cette fois avoir fait demi-tour plus bas (soit on fait demi-tour sur le terre-plein, soit il faut aller jusqu’aux entrées de la champignonnière afin de trouver la place suffisante pour manœuvrer). De même, la voiture ayant été accidentée, la portière bloquée ne permettait pas la constatation que transmettent aux policiers les époux Aubert, que Christian Ranucci serait sorti par la portière conducteur pour faire descendre la fillette côté passager.
- Il résulte de ce témoignage du 4 juin délivré aux gendarmes par téléphone que l’homme qu’ils ont aperçu ne peut pas être Christian Ranucci qui se trouvait en fait endormi et affalé sur son volant. Tandis que M. Aubert se pouvant apercevoir que la lunette arrière, à une centaine de mètres, n’était pas en mesure de deviner sa présence.
- Si réellement M. Aubert avait vu la fillette le 3, il n’aurait pas manqué de le signaler à M. Martinez. Puis, ayant pris connaissance de l’enlèvement, l’un ou l’autre auraient immédiatement signalé ce fait aux gendarmes et la petite fille aurait été retrouvé la veille. Après le 5, les témoins Aubert et le témoin Martinez deviennent sur ce plan de faux témoins.
Voici donc comment les faits, les témoignages et les constatations ont été modifiés, tordus, recalibrés pour faire tenir l’accusation coûte que coûte.
Examinons alors comment ces arrangements avec la vérité ont pu être glissés subrepticement lors de l’enquête.
L’enquête, oui l’enquête.
Elle commence donc le lundi 3 juin1974 vers midi une heure, lorsque le père de Marie-Dolorès se rend à l’Évêché avec son fils de 6 ans, témoin des faits, pour signaler l’enlèvement de sa fille par un inconnu sous prétexte de rechercher un gros chien noir. Plusieurs journalistes s’accordent pour certifier que l’enfant connaissait les marques de voiture et qu’il a parlé d’une simca… Sans doute les enquêteurs ne souhaitent pas introduire cet élément dans le dossier à ce stade : le témoignage d’un enfant est sur ce plan sujet à caution.
En revanche il est noté qu’il s’agit d’un véhicule de couleur grise.
Au-delà des investigations de voisinage qui ne donnent pas grand chose, les lieux étant quelque peu désertés le lundi de Pentecôte, il est certain que l’on a recollé avec cet enlèvement d’autres dossiers d’enlèvements ou de tentatives survenues les jours ou les mois précédents, et que sont recueillis le 4 juin les témoignages de Mme Mattéi, sa fille et l’amie de sa fille, des sœurs Constantino, et de Monsieur Martel. Ils ont croisé la route d’un homme portant un pull rouge (il a fait au maximum 22° le 31 mai et 23° le 1er juin à Marseille), lequel agressait des enfants ou tentait de les enlever en utilisant le stratagème du chien noir perdu…
Car l’homme portant un pull rouge ayant abordé la fille de Mme Mattéi a lui aussi évoqué la recherche d’un gentil chien noir, le commissaire Cubaynes déclarant publiquement que cette caractéristique : « valait tous les signalements » (la Marseillaise du 6 juin 1974).
Or l’un des témoins assure que l’agresseur est parti au volant d’une Simca, et plus encore Mme Mattéi, non seulement certifie qu’il avait garé sa Simca 1100 sous ses fenêtres mais a pu noter une partie du numéro, un 8 et le département : 54…
Le 4 juin, les policiers réentendent le petit Jean qui désigne cette fois une Simca parmi les modèles qu’on lui présente.
Ainsi donc, avant même que l’enlèvement ne soit raccordé à l’accident de voiture survenu au carrefour de la pomme le 3 juin, les enquêteurs de Marseille disposent d’un certain nombre d’éléments concernant le ravisseur : il s’agit d’un homme ayant l’accent du midi, qui utilise à certains moments pour technique d’enlèvement le fait de prétendre avoir perdu son chien, qui roule en Simca 1100 grise et qui sévit dans quelques cités Marseillaises depuis plusieurs jours. D’autre part, il porte un pull rouge vif avec des boutons dorés sur l’épaule…
À suivre…