Au nom Daniel Massé, la recherche « google » répondait par un certain nombre d’articles que les journaux déposent sur leurs sites en archives ; la page de résultats en recensait une dizaine que publiaient à ce propos la Dépêche du midi ou bien le Nouvel observateur, cependant il était apparu l’existence d’un site dont l’adresse s’intitulait www.presume-coupable.com.
Ainsi, bien mieux qu’un quelconque résumé de quelques lignes par lequel un journaliste travestissait de son point de vue la réalité judiciaire, s’y dévoilait dans toute sa brutalité ce qu’il en était de la terrible victoire du procureur Marc Gaubert.
Le site était façonné avec un soin particulier et je découvrais alors qu’au moins l’un de ses enfants avait pris sur lui de présenter ce qui pouvait brutalement se pressentir, une erreur judiciaire de grande ampleur.
Michelle, professeur d’histoire me rappelait opportunément que l’échec de mes tentatives quant à permettre la réhabilitation de Jean-Marc Deperrois tenait au fait qu’à l’inverse du Capitaine Dreyfus, il n’existait dans son entourage nul être qui eût assez de force et de détermination pour occuper la place de Mathieu, le frère admirable, et entreprendre seul de tirer cette vague d’airain hors de l’ombre enfouie vers la place publique. Or, si j’entendais tant de lamentations justes mettant à nu les machines broyeuses de l’État, soudain émergeaient des profondeurs ces relations de famille implicites et surannées que l’erreur judiciaire fige et cristallise à son plus haut point de fusion, cependant qui nuisent à cette froide volonté qu’il convient d’acquérir au plus profond de soi pour abattre un à un les obstacles insidieux, une sorte d’intelligence féline qui prend la mesure des opinions communes et les combat avec agilité et vigueur sans désemparer.
À cette aune, Jean-Marc Deperrois se trouvait seul et désarçonné, enlié à l’erreur judiciaire comme Hamlet au fantôme de son père, ce qui laissait entendre que chacun avait trouvé une place dans le flot du malheur, sans pouvoir y discerner ce qui persistait d’une seule lumière : la vérité du dossier.
Daniel Massé se trouvait la première personne à subir les foudres de la loi sur l’appel des acquittements, dite loi Schosteck-Lebranchu. On eût même pu croire l’espace d’un instant que cette modification législative avait été façonnée à sa seule intention quelques mois auparavant par quelques députés et quelques sénateurs, avec le cynique soutien de M. Robert Badinter, afin d’obtenir à tout coup sa condamnation en escomptant le fait qu’il ne se méfierait pas de ses avocats et qu’il prendrait en gage son acquittement de première instance pour persister à croire en la vertu des institutions françaises.
Le saccage qui s’en était ensuivi s’avérait incommensurable et l’on pouvait, comme il en était pour Jean-Marc Deperrois, contempler avec cet indicible effroi les destructions engendrées par les réquisitions du procureur Gaubert.
Il était donné à Yannick Massé, digne fils de Daniel Massé, or Mathieu Dreyfus de notre temps, de connaître avant nous la nuit prochaine qu’on fomente dans les cabinets ministériels, ce que l’on pourrait dénommer fascisme du consentement. Comme je découvrais à lire les pages du site qu’au lendemain de sa sortie de prison, en septembre 1995, son père s’était métamorphosé. Le traitement subi à la prison Saint-Michel, l’isolement et la séparation d’avec sa famille avaient délié son être au plus profond et brisé ses défenses. Il ne parvenait plus à reconnaître sa propre part d’humanité après avoir survécu à la torture blanche infligée par le juge Joachim Fernandez et sa première tentative de suicide.
Durant sept années d’instruction soupçonneuse et vaine, la famille qu’il avait fondée s’était disloquée. Le juge était parvenu à ses fins entretemps et renvoyait Daniel Massé devant les assises devant lesquelles il était acquitté. Yannick était soudain chassé de la maison par sa propre mère au motif qu’il continuait d’entretenir des relations avec son père. Celle-ci avait en effet noué à nul doute de sombres liens avec les propres accusateurs de son ex-époux et Dieu sait quel arrangement elle avait fomenté avec eux, qui nourrissait sa vengeance de ne pas supporter qu’il ait reconstruit une famille et qu’une enfant soit née d’une nouvelle union.
On était en décembre 2002, Yannick chassé de son domicile s’était réfugié dans un camion en guise de logement, et c’est là qu’il survivait les nuits durant tout au long de l’hiver et du printemps. Un an plus tard, son père était condamné. Alors patiemment, sans aucune aide, il avait façonné un site internet et réuni avec patience une myriade de témoignages et de documents. On y découvrait le refus de la cassation, puis la tentative de saisir la Cour européenne des droits de l’homme et cependant, à défaut de connaître l’horlogerie minutieuse de cette juridiction les décisions d’irrecevabilité rendues sans motivation.
Ainsi je parvenais bien trop tard et je me pris alors de regrets, celui de ne pas m’être démis plus tôt de mes fonctions de président du comité de soutien de M. Deperrois car c’était en quelque sorte par mon inattention qu’ils avaient osé recommencer envers M. Massé ce qu’ils avaient déjà bâti avec l’affaire de la Josacine.
Au-delà des mots s’étend le paysage une fois la bataille accomplie, le désordre des soldats transis mêlé à l’humeur de la terre retournée, le torrent des phrases qui s’amoncelle et se noie par lui-même dans son propre vacarme, et s’enroulent en ce flot tournoyant ce que l’on révèle des bouteilles, une preuve que l’on cachait à l’accusé, et submerge celle des interrupteurs, des inscriptions dessinées en suivant un carroyage sur un catalogue de vente, le trouble des accusateurs et l’appât du gain qu’ils attribuent à d’autres, cette société au nom translucide, médilens…
M. Massé appelait au secours désespérément son avocat, le bon Maître Jean-Luc Forget, et celui-là ne cessait de tergiverser, de ne plus répondre, de soudain prétendre qu’il n’était pas chargé de bonnes œuvres et s’éluder lui-même à force de réclamer le solde de ses honoraires pour le défaut de sa stratégie et, finalement son insigne vulnérabilité.
Je possédais une clé, celle que Jean-Marc Deperrois m’avait confiée sans le savoir, de connaître les rouages silencieux de l’appareil judiciaire et de savoir que la condamnation de Daniel Massé provenait de la rencontre subreptice entre le Cabinet de Caunes-Forget et le procureur Gaubert. Dans la première affaire, il se trouvait partie civile et M. Gaubert avocat général et dans la seconde à l’inverse, il était la défense et M. Gaubert avocat général. Par cette partie de cartes où l’on entend condamner un homme sur le fondement de simples allégations contradictoires et brumeuses, il convient d’amoindrir en quelque manière la défense de l’accusé et favoriser les apparences au mieux tant elles sont parfois impalpables.
Cette clé manquait à M. Massé, et c’est au souvenir des enfants de M. Deperrois au bas des marches du palais de justice, de leur noblesse cette nuit là, que j’ai pris la décision de la transmettre après une courte réflexion. J’ai rédigé un message à l’intention du concepteur du site « présumé coupable » pour dire simplement cette expérience que j’avais vécue une première fois et signaler ce détail infime qui reliait l’affaire de la Josacine à celle de M. Massé.
Il allait en survenir le plus terrible des combats.
« Mais, Monsieur Massé, nous ne sommes plus en démocratie, il faut le savoir !«
Catherine Lemorton, Député socialiste de la 1ère Circonscription de Haute-Garonne
Chapitre 35 – Jean-Marc Deperrois – Daniel Massé
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