La disposition issue de l’article 368 qui ne permettait pas à l’institution judiciaire de faire appel des arrêts d’acquittements incommodait à nul doute la haute hiérarchie car il suffisait d’un jury sensible pour que l’affaire échappât au contrôle de la cour de cassation et qu’elle fût hors d’atteinte du parquet, ce qui ouvrait alors – sainte épouvante – une indépendance nouvelle des présidents de Cour.

 

 

Comment l’institution judiciaire imposa le raisonnement par l’absurde et conduisit le gouvernement socialiste, sous la pression des droites, à laisser introduire par amendement la première disposition rétroactive depuis le régime de Vichy…

Il convenait cependant de pouvoir s’appuyer sur le meilleur prétexte qui vienne à justifier un tel recul du droit ; la loi sur l’appel n’était pas encore entrée en application qu’une occasion parut sous la forme idéale d’un procès  où s’invoquait l’esprit du roi Salomon, celui des parents de Lubin Duchemin.

Lubin mourut le 2 décembre 1994 à l’âge de deux mois, victime d’un œdème cérébral, le corps meurtri de fractures. Le juge d’instruction ayant mis en examen les deux parents pour «coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner» les fit emprisonner tous les deux.

Dès lors l’unique objet consista à résoudre l’impossible question, celle de désigner dans la clarté absolue celui des deux qui avait porté les coups puisqu’ils en vinrent un jour à s’accuser l’un l’autre.

La vérité, dans sa douceur, est impénétrable puisqu’il ne s’y rencontre aucun témoin des faits, tandis que le père viendra à reconnaître quelque geste maladroit par impulsivité et que la mère laisse entrevoir l’impassible de sa profonde dépression et l’indifférence trouble qui peut-être en émane.

Le juge d’instruction et le parquet ont agi dans l’harmonie de leur conscience et laissé la voie ouverte pour condamner ces enfants éperdus sur le fondement de la violence habituelle ayant entraîné la mort et la non assistance à personne en danger, ce qui traduirait la sidération de l’un pour l’autre et le consentement au silence de l’un envers l’autre par quoi l’enfant devenait le sujet transparent de leur relation diaphane.

Cependant, la cour d’assises de Nanterre à qui revient la charge de les punir six ans plus tard est inspirée par d’autres augures et sa conviction paraît d’autant plus intime qu’elle ne se fonde sur nul autre chose que l’impression vague qui se déduirait du fait que Jérôme Duchemin s’absentait du domicile à l’époque où les traumatismes venaient d’apparaître au contraire de son épouse, dont l’insensibilité intrigua.

Elle acquitte le père, ne retient rien de la non assistance à personne en danger – ayant l’estime de croire qu’il ne convenait pas de porter accusation de ne s’être aperçu de rien malgré les bleus et les traces d’hémorragies, et condamne la mère à quinze ans de réclusion.

Il devrait en survenir la fronde des avocats et peut-être la vindicte des juges par quoi le Parlement serait interpellé, que celui-ci en viendrait à légiférer séance tenante pour imposer aux Princes-magistrats de la Cour de cassation la motivation des verdicts de cour d’assises puisqu’il était devenu intolérable que le jury ne fasse part d’aucune explication de ce qui les avait convaincu de l’innocence du père et de ce que la mère seule avait porté les coups sur son enfant.

Ce n’était pas l’innocence du père qui faisait offense, mais bien le mutisme du jury qui enveloppait la disparité du verdict.

De façon inattendue, tout fut mis en œuvre avec un soin méticuleux afin de veiller à ce que Magali Guillemot puisse bénéficier d’un appel par la transformation de son pourvoi en cassation. Il fallait pour qu’elle puisse y prétendre une acrobatie juridique, une loi de circonstance qui gelât les décisions de la Cour de cassation. Il était pour le moins surprenant que l’on ait fait preuve de bien moins d’égard pour M. Deperrois et qu’il n’ait pas eu l’opportunité de bénéficier de la même faveur.

L’appel du procès Guillemot n’aurait que cet objet secret, celui de donner argument afin que le parquet puisse faire appel des acquittements…

L’appel du procès de Mme Guillemot n’avait d’autre visée que celle de soutenir la démonstration d’une prétendue contradiction absurde et Jérôme Duchemin servirait à son insu de figure de proue, par quoi on entendait démontrer que la loi était inadéquate qui ne donnait pas au parquet le pouvoir de faire appel contre lui de son acquittement.

On se garda de s’en prendre au jury, au secret des causes du jugement. Non, on invoqua plutôt une possible erreur judiciaire, s’il se trouvait que la mère n’avait pas en fin de compte porté les coups. On fit semblant d’oublier que c’était le jugement lui-même qui était de la sorte inapproprié et qu’une sentence déséquilibrée ne rend pas pour autant une règle de procédure inéquitable, surtout s’il s’agit de décréter l’acquittement définitif, dès lors qu’il se fonde au moins sur le doute raisonnable.

L’on ne pouvait d’ailleurs déterminer en quoi la remise en cause de l’acquittement du père aurait pu réparer l’hypothèse d’une erreur judiciaire, rien ne s’opposait à ce que la cour d’assises d’appel acquittât la mère à son tour, au bénéfice du doute, comme celle de première instance avait fait avec le père et ainsi les renvoyer tous les deux à leurs remords secrets par faute de savoir qui véritablement avait ôté la vie de l’enfant.

La possible erreur judiciaire que l’État français avait commise envers M. Deperrois, bien mieux évidente pourtant, n’intéressait personne, pas plus l’institution judiciaire et moins encore le Parlement.

Jérôme Duchemin se manifesta pour se porter partie civile contre sa femme, ce que les juges lui refusèrent. Il ne fallait faire preuve d’aucune exagération qui rendît la manœuvre trop visible et serait-il donc simple témoin.

 

La cour d’assises d’appel de Paris entendit le père comme témoin à charge et condamna Magali Guillemot à dix années de réclusion par quoi la trame judiciaire et parlementaire allait dès lors intriguer puisque son avocat, Paul Lombard, annonça – et c’était manifester en réalité une posture politique qui venait droit au secours des partis conservateurs et des souhaits de la Cour de cassation – qu’à défaut d’obtenir l’annulation du verdict, il irait quérir la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en invoquant que le procès serait devenu inéquitable du simple fait de l’absolution du mari à qui s’ouvrait le droit de siéger cette fois comme témoin accusateur après avoir été accusé.

Comment pouvait-il se faire qu’un témoin, fût-il autrefois impliqué dans la cause, fût-il devenu parti de l’accusation, puisse rendre un procès inéquitable ? Les honorables parlementaires allaient reprendre avec la conviction somnambule que confère l’incompétence, la belle chanson murmurée par l’Institution judiciaire.

 

 

 

« Plus choquante encore : l’interdiction pour le parquet de faire appel d’un arrêt d’acquittement de la Cour d’assises. Ainsi, on ne pourrait se tromper qu’en condamnant ? L’erreur qui absout un coupable ne mériterait pas d’être corrigée ? Il est heureux que, sous la pression efficace des groupes de l’opposition, notre commission ait accepté de modifier cette disposition.« 

Patrick Ollier

 

Chapitre 37 – Jean-Marc Deperrois – Daniel Massé

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