Il est aisé de concevoir qu’accorder au Procureur général le droit de faire appel d’un acquittement ne peut qu’accroître fortement la survenue d’erreurs judiciaires, en ceci que le jugement des Cours d’assises est un couperet, qu’il est dépourvu des motifs qui le justifient (1).
Acquitter un homme accusé d’un crime survient lorsque son innocence se reconnaît dans sa plénitude, et tout au moins par l’incertitude du doute raisonnable qui devrait lui profiter par un principe constitutionnel évanescent.
Une seconde procédure n’a de sens véritable que si les charges ont pris meilleure consistance à l’aune de faits nouveaux survenus entretemps, d’éléments nouvellement révélés par une enquête additionnelle. Autrement, la même incertitude ne manque pas de persister, empoisonnée d’une semblable manière, et l’on ne perçoit pas en quoi une seconde sentence tout aussi peu motivée que la première pourrait pallier à ce qui faisait défaut à l’accusation pour emporter condamnation.
De la sorte, il était d’une grande évidence que ceux qui souhaitaient instituer par un appel la remise en cause d’un acquittement songeaient à tirer parti de la connaissance du premier procès pour emporter la conviction du jury lors de l’audience d’appel par un double phénomène, celui d’arranger les débats de telle sorte que la culpabilité semblât cette fois irréfutable ou bien que le doute puisse s’épuiser au gré du mélange des arguments.
Le premier effet serait passager, en ce qu’il usait de la méfiance endormie du justiciable qui pouvait croire que son acquittement tenait de la vertu, alors qu’il résultait d’un calcul et le Président de cour d’assises d’appel – c’était là le second effet – pourrait par quelque manœuvre habile dissimuler ce qui laissait apparaître malencontreusement l’incohérence des charges, sans que s’éveille assez tôt la réticence de l’acquitté à l’endroit de l’institution. En quelque sorte, le premier procès servirait désormais de répétition et s’il venait à manquer sa cible pour laisser montrer la fragilité de l’accusation et des témoignages, il était loisible de le recommencer et de permettre au second Président de contourner, en toute connaissance de la façon dont l’accusé en avait usé, ce sur quoi la défense s’appuyait.
Il sera rétorqué que l’accusé est assisté de ses conseils – mais pour cela il faudrait que la défense fût indépendante, et l’on répondra dès lors que la défense n’a pas ce rôle de faire valoir l’innocence de celui qu’on juge mais de souligner le doute pour mieux permettre qu’il soit démonté lors du délibéré par l’habile plaidoirie du Président, non pas de conduire à l’acquittement, mais d’aider le condamné à accepter la punition la plus injuste et le perdre dans les procédures s’il se trouve la contester.
Il paraissait sans doute plus habile désormais de permettre un second procès pour affermir l’accusation plutôt que de tenter de la fonder sur un arrêt sans recours, dont l’avantage était de clore toute procédure au fond qui aurait pu le contester, et qu’il fondait alors l’infaillibilité du jury populaire, mais ce défaut de laisser visibles le rapiéçage lorsque les incriminations révèlent aux yeux de l’opinion publique l’irréalisme ou l’incohérence, les failles de l’instruction.
L’accusation avait tant perdu de sa vraisemblance lors des audiences, qu’au souvenir de l’énoncé du verdict qui condamnait Jean-Marc Deperrois, l’avocat général pris sur lui de se plaindre des remontrances, la colère et le désarroi que les journalistes n’avait pas manqué d’adresser au jury ainsi qu’aux magistrats – tandis que le public présent dans la salle vouait la Cour aux gémonies -, leur adressant la vindicte de noms d’oiseaux particulièrement choisis, le Président s’éclipsant, tout à ses remords, menaçant comme il est de nature lorsque se prononce une sentence inconcevable, de faire évacuer la salle.
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L’appel avait cet avantage d’y surseoir, et l’appel des acquittements l’avantage de garantir à la juridiction de rester maître du jeu.
Cependant, pour qui gardait quelque attention à la vérité la plus simple et la plus naturelle, mettre en cause l’acquittement d’un accusé par l’appel du Procureur, c’était démontrer la volonté qu’on entendait appuyer des charges insuffisantes au-delà de ce qui est raisonnable pour dissimuler le doute sous le théâtre d’une pièce odieusement interprétée.
Les concepteurs de la loi Guigou en avait pris toute la mesure de gravité, dès l’instant où le verdict est issu d’un conciliabule entre les jurés et les magistrats, qu’il ne se fonde sur nulle cause qu’une prétendue conviction aussi intime qu’elle est par sa nature hypocrite, un appel ne pouvait le remettre en cause sans convoquer à tout coup l’impression hideuse de l’erreur judiciaire, d’autant plus redoutable qu’elle provenait ipse-facto d’un acharnement.
Et l’on comprend pour quel motif il fallait dévoyer la compréhension des parlementaires pour qu’ils en viennent à défendre une pareille monstruosité.
Julien Dray, rapporteur de la Loi Lebranchu, enclenche le piège qui se refermera bientôt…
L’on prit prétexte au début de l’année 2002, de la vague de réaction qui survint avec la création de l’euro en remplacement des monnaies nationales – autrefois l’unification des monnaies avait engendré aux Indes le système des castes comme apaisement à cette nouvelle brûlure de soi – pour instaurer plusieurs limitations aux libertés que tentait de conforter la loi Guigou sur la présomption d’innocence. L’opposition de droite appuyait de toutes ses forces, aussi bien qu’elle entend se conformer aux opinions communes les plus basses, aux appréhensions inaccessibles pour assouvir la protection des privilégiés de l’argent.
La mort du petit Lubin venait à point nommé qui donnait occasion du premier coup de canif, Julien Dray étant rapporteur, la proposition de modification de la loi exposait les arguments sans doute suggérés par les magistrats des plus hautes juridictions eux-mêmes et que les parlementaires allaient reprendre avec une stupidité, une docilité qui force l’admiration, comme l’énonce le rapport rédigé à l’issue du passage en Commission des lois de l’Assemblée nationale :
« À l’initiative des parlementaires, la loi du 15 juin 2000 a réformé la procédure criminelle afin de permettre un recours contre les décisions rendues par les cours d’assises. Souhaitant avant tout donner une seconde chance à l’accusé, le législateur a instauré une procédure d’appel spécifique, qui limite les possibilités d’appel aux seuls arrêts de condamnation.
L’article 380-1 du code de procédure pénale dispose, en effet, que seuls les arrêts de condamnation rendus par la cour d’assises en premier ressort peuvent faire l’objet d’un appel. Les personnes ayant la faculté de faire appel de ces arrêts sont énumérées à l’article 380-2 : il s’agit de l’accusé, du ministère public, de la personne civilement responsable et de la partie civile quant à leurs intérêts civils et, en cas d’appel du ministère public, des administrations publiques lorsque celles-ci exercent l’action publique.
Un certain nombre d’affaires récentes conduisent à s’interroger sur le bien-fondé cette restriction, susceptible de donner naissance à des erreurs judiciaires. Cette modification paraît d’autant plus nécessaire que c’est justement la volonté d’éviter ces erreurs judiciaires qui a amené le législateur à mettre fin au principe de l’infaillibilité du jury populaire et à instituer un recours contre les décisions de cours d’assises.
D’un point de vue juridique, cette impossibilité pour le parquet de faire appel des décisions d’acquittement est difficilement compatible avec le principe de l’égalité des armes garanti par la convention européenne des droits de l’homme au bénéfice de la défense, mais également au bénéfice du ministère public.
L’article 5 de la proposition de loi met donc partiellement fin à ce particularisme de la procédure criminelle en autorisant le parquet à faire appel des décisions d’acquittement, lorsqu’il existe des co-accusés.
Il complète pour cela l’article 380-2 du code de procédure pénale par un alinéa indiquant que le ministère public peut faire appel des arrêts d’acquittement lorsqu’une décision de condamnation ayant fait l’objet d’un appel a été prononcée à l’encontre d’un co-accusé.
Cette disposition permettra d’éviter que ne se reproduise des affaires comme celles des époux Guillemot, co-accusés du meurtre de leur enfant, dans laquelle la mère s’est finalement retrouvée seule à l’audience d’appel, à la suite de l’acquittement contesté de son mari en première instance.
On observera, toutefois, que la modification proposée a une portée relativement limitée puisqu’elle n’autorise pas l’appel des décisions d’acquittement en l’absence de co-accusés.
La Commission a adopté l’article 5 sans modification. »
Ce texte souligne la volonté exprimée des représentants de la Nation, si tant est qu’il ne s’agisse pas en fin de compte de celle des magistrats, de laisser le raisonnement se vicier de façon inappropriée et insolente, tant il témoigne d’un sens pour le moins limité de l’esprit des lois, des principes constitutionnels et de leurs effets.
Tout d’abord, il fait peu de cas de la séparation des pouvoirs, tandis que lorsque l’on saisit les parlementaires d’un dysfonctionnement de l’Institution judiciaire, ils l’invoquent à tout instant pour se garder d’intervenir et masquer l’indifférence ou bien la faiblesse de caractère. En quoi les parlementaires pouvaient-ils juger que l’acquittement de M. Duchemin recelait une erreur judiciaire ? Que connaissaient-ils de ce dossier ? Pas grand chose à vrai dire puisque la qualification du « meurtre » qu’ils reprennent par raccourci maladroit n’était pas retenue mais celle de la violence habituelle ayant entraîné la mort. Sur quoi fondaient-ils leur assertion ? Ils n’en dévoilaient rien.
La condamnation sans preuve du mari eût certes été susceptible d’être cause d’une erreur judiciaire mais non pas son acquittement et celle de Mme Guillemot pareillement.
Autrement dit, le Parlement souhaitait attribuer au Parquet la faculté de faire entendre raison à des jurés que les représentants de la Nation récriminaient implicitement au mépris de la séparation des pouvoirs, mettant en exergue leur méconnaissance des usages ou pire encore leur malhonnêteté morale.
Pourquoi fallait-il éviter au bout du compte qu’une personne condamnée se retrouvât seule lors des assises d’appel ? Sa chance généreusement offerte de bénéficier d’un recours n’en était nullement affectée.
Les arabesques du discours dissimulent naïvement ce dont il se garde de traiter. En vérité la Convention de sauvegarde des droits de l’homme réclame en vain de la France et du parti socialiste qui gouverne à l’heure où cette loi est discutée, la motivation du verdict des condamnations et des acquittements, ne serait-ce que sous la forme de réponse à des questions. Il est pour le moins surprenant de constater que M. Julien Dray l’ai passé sous silence, c’est en cela que le tribunal criminel cesserait d’être la loterie qu’il entend décrire, qu’il se mettrait en accord avec les Conventions internationales auxquelles la France à souscrit, non pas que le parquet puisse faire appel d’un acquittement pour sauver une accusation sans preuves et chancelante, d’où résulte un acquittement – de quoi d’autre sinon ?
Les rapporteurs de la loi usent de ce paradoxe par lequel on prétend lutter contre l’erreur judiciaire par la remise en cause des relaxes. On n’oserait dire que les honorables députés se moquent du monde, ou feignent l’ignorance. Le raisonnement qui déduit de ce que l’un des mis en cause ne se trouve plus sur les bancs de l’accusation lors de l’appel pourrait engendrer une erreur judiciaire est dépourvu de sens.
Alors ils se saisissent de la Convention Européenne des Droits de l’Homme que cette loi même s’apprête à piétiner sans détour, en ce qu’elle garantirait l’égalité des armes entre le Ministère public et l’accusé ? Nulle part cela n’est écrit. Il appert que les députés sont privés soudain par sortilège de la plus petite once de pensée pour avancer une oraison aussi dénuée de fondement : la Convention garantit le respect des droits de l’homme, autrement dit le droit des individus ou d’une collectivité privée contre les abus de la collectivité publique, elle ne prétend pas préserver l’État des abus que les particuliers commettraient envers lui – elle laisse le soin de cette répression aux autorités nationales elles-mêmes, au procureurs s’il s’agit d’une infraction, aux tribunaux civils s’il s’agit d’un préjudice d’ordre privé.
La Convention limite le droit de faire entendre les témoins à décharge lors des audiences ou de l’instruction, et précise qu’il doit leur être accordé les mêmes conditions que les témoins à charge. C’est le seul équilibre qu’elle énonce en ce qu’il figure l’un des droits fondamentaux et de cela il s’en déduit que l’accusation ou le ministère public ne peuvent rompre l’égalité des armes à leur profit, nullement le contraire. On ne voit d’ailleurs pas en quoi le droit d’appel des acquittements refusé au Parquet s’opposerait à l’égalité des armes : l’acquitté ne fera pas appel, le procureur non plus – l’équivalence est donc sur ce point parfaite.
La spéculation est d’autant plus outrée sinon fallacieuse que la véritable violation des droits que commettent habituellement les Cours d’assises, celui de refuser de motiver leur verdict, le rapport le passe sous silence avec un soin parcimonieux.
Ainsi fut posée, lors du premier examen de la loi par les députés, la première entaille : l’institution judiciaire parvenait à faire introduire l’appel des acquittements dans le cas où se trouveraient dans le box plusieurs coaccusés.
En vérité le piège se refermait car cette limitation engendrait par elle-même une inégalité autrement plus redoutable, qui déterminait un cas où la situation se trouvait aggravée du fait de la présence d’un coaccusé et un autre où l’acquittement serait définitif, sans que ne soit justifiée la différence de ce traitement.
Et de même la disposition ainsi introduite s’avérait rétroactive car elle ne limitait pas son application aux affaires antérieures à sa promulgation, tandis qu’elle aggravait la situation d’un coaccusé qui, sans cela, aurait été définitivement acquitté. Aucun parlementaire de quelque bord qu’il fût ne souleva cette question pourtant primordiale en son principe.
Or les pressions de l’Institution judiciaire allaient-elles reprendre et, en attendant, l’on retardait comme on pouvait le procès de Daniel Massé…
Proposition de réforme du code de procédure pénale émise par la Cour de cassation en 2000 aux fins de protéger le justiciable d’une aggravation de sa situation du fait du pourvoi en cassation d’un coaccusé ayant abouti à une annulation, tandis que celle-ci tolère que l’on puisse remettre en cause – pour des faits antérieurs à la modification procédurale – un acquittement par voie d’appel sans pour autant que le verdict soit assorti d’un quelconque motif … Il n’y a rien qui puisse trouver raison à ce qui se désigne simplement sous le vocable de politique réactionnaire :
« Cependant, en l’état des textes, une telle limitation ne peut être imposée d’emblée à la première juridiction de renvoi car elle heurterait la plénitude de juridiction de celle-ci, d’ailleurs reconnue expressément par la Chambre criminelle dans son arrêt.
Il ne paraît pas davantage possible que le président de la juridiction de renvoi, se fondant sur la jurisprudence de la Chambre criminelle, indique aux jurés que la peine d’un certain condamné sera limitée.
Aussi, serait-il souhaitable que le législateur ajoute un alinéa à l’article 612-1 du Code de procédure pénale pour dire que le condamné qui ne s’est pas pourvu et qui se voit étendre l’annulation en raison du pourvoi d’un co-accusé ne pourra pas être condamné à une peine dont la durée excéderait celle à laquelle il a été déjà condamné. »
Rapport de la Cour de Cassation, année 2000
Article 612-1
Modifié par la Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 – art. 158 – JORF 10 mars 2004.
En toute matière, lorsque l’intérêt de l’ordre public ou d’une bonne administration de la justice le commande, la Cour de cassation peut ordonner que l’annulation qu’elle prononce aura effet à l’égard des parties à la procédure qui ne se sont pas pourvues.
Le condamné qui ne s’est pas pourvu et au profit duquel l’annulation de la condamnation a été étendue en application des dispositions du premier alinéa ne peut être condamné à une peine supérieure à celle prononcée par la juridiction dont la décision a été annulée.
(1) depuis l’écriture de ce texte, le code de procédure pénale a tout de même été amélioré sur ce point, le jugement d’assises devant être dorénavant motivé. Combien aura-t-il fallu de temps pour que l’on s’aperçoive qu’un jury était en mesure de fournir quelques explications à sa décision…
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C. pr. pén., art. 365-1, alinéas 1, 2 et 3 :
« Le président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt.
En cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions.
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